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L'éclat de rire, Sylvie Schenk (2024) Empty L'éclat de rire, Sylvie Schenk (2024)

Ven 9 Fév - 9:20
L'éclat de rire, Sylvie Schenk (2024) 97820726


Charlotte est invitée dans un endroit perdu, sur une île, à l'abri du monde, pour présenter son roman récompensé par l'obscur Prix Cascade. Mme Prude, la journaliste à l'origine de l'événement, semble très concernée par le sujet de son livre : Charlotte raconte l'histoire de Klara, directrice d'établissement scolaire proche de la soixantaine, tombée amoureuse de Lew, un professeur marié. Divorcée, elle n'a pas éprouvé depuis longtemps une telle attirance, un tel bonheur, et les sentiments sont réciproques. Mais Lew n'est pas libre, et sa femme, fragile, qui ne lui donne pourtant plus de signes d'amour, le retient auprès de lui.
Le roman est un dialogue entre l'écrivaine et la journaliste. La narratrice, Charlotte, nous livre, en parallèle, le versant réel de ce qu'elle a écrit dans son livre Roman d'amour, son amour fou pour Ludo, tandis qu'elle tente de nier devant Mme Prude le caractère autobiographique de son texte.

"Quel écrivain peut être sûr à cent pour cent des sources auxquelles s'abreuvent ses livres, des objectifs, de la fonction de ceux-ci. Il ne m'importe aucunement de me délester d'un poids moral, ou de panser je ne sais quelle blessure."

La blessure est profonde, et le lecteur sait bien que le livre qu'il a entre les mains s'en est nourri, même vingt ans après.
La tension entre les deux femmes monte. Mme Prude a l'air de prendre assez facilement le parti de la femme trompée. Par sa curiosité parfois malsaine, son comportement, la journaliste agace Charlotte qui se demande ce qu'elle est venue faire dans cette ville déserte au bord de la mer.

L'écrivaine porte le nom de "Moire", "le destin" en grec, et elle en sent tout le poids sur elle et son personnage. On lit avec beaucoup d'intérêt cette histoire d'amour vouée à l'échec. Dès le départ, on sait que Klara sera abandonnée par celui qu'elle aime. La nostalgie de la perte assombrit le présent... Leur premier et dernier voyage ensemble a lieu en Irlande, et c'est sur ces terres sauvages que l'amant s'en va :

"Assise sur un banc devant le bureau de poste, je regardais la lumière jouer dans les branches d'un vieux tilleul. Un vent bourru en chahutait le feuillage. Dans d'autres circonstances, je me serais volontiers plongée dans la contemplation de l'arbre balloté par les bourrasques. Mais le spectacle de la nature ne nous est d'aucun secours quand nous tremblons de perdre l'être qui nous est le plus cher au monde."

On voit donc comment l'amour peut faire renaître, comment il décentre et permet de s'extraire de la réalité. Klara/Charlotte rajeunit par ses effets, elle qui pensait sûrement ne plus jamais éprouver ces sensations. Elle dit elle-même connaître pour la première fois le "sexe sentimental", communiant avec cet amant inattendu.

"L'impression qui est la nôtre, c'est que dans l'amour notre exil terrestre prend fin, et que l'amour crée de toutes pièces un lieu à lui seul dédié, et qui n'entretient aucun rapport avec notre lieu de résidence ou de naissance."

Ses journées gravitent autour de lui, à l'attendre, à espérer un message, un oui pour un rendez-vous. Plus rien n'a d'importance autour d'elle.

"La vie avait désormais trois dimensions : ce que je vivais dans l'instant, le souvenir de ce que j'avais vécu dans l'instant, l'imaginaire."

"Quand je déambulais dans mon quartier, mes pensées prenaient la tangente au premier carrefour. Encore est-il présomptueux de parler de pensées. Je ruminais, je remâchais douloureusement des souvenirs. Je fouillais avec délices ma mémoire comme un chien fait les poubelles."

On regrette cependant deux choses : qu'un des mystères du livre soit (maladroitement?) dévoilé dès la moitié par une ou deux remarques, ce qui gâche un peu la scène finale ; et pourquoi avoir remplacé par L'Éclat de rire le titre original Roman d'amour, qui permettait de renforcer l'aspect autobiographique : Karla racontée par Charlotte racontée par Sylvie...?

L'éclat de rire, Sylvie Schenk (2024) 20240211

Même si cela finit toujours mal, le roman nous invite à aimer par-delà les âges et les préjugés, car le temps passe... Il est aussi une réflexion sur les secrets de la création et la part de soi qu’un écrivain met dans ses personnages :

« Écrire peut être un substitut à la vie à deux. Un pis-aller à Éros. Nous nous glissons dans la peau de nos protagonistes. On se maintient mutuellement en vie. Je me suis coulée dans le personnage de Klara, elle a investi ma sensibilité. »



... et le livre se termine sur plusieurs pages d'une intense déclaration d'amour...


CM

Gallimard, 2024.
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