La Varangue, Virginie Bouyx (2023)

« Vous passez de l’autre côté du miroir, de l’autre côté de la mince pellicule de couleurs et de formes. Vous êtes dans le tableau. » Martine Reid, in Ravissement chez Arléa

Qui n'a pas rêvé de s'immerger dans un tableau ou un roman, d'être emporté par une musique ? D'être arraché littéralement à l'existence terrestre pour en vivre une autre, sublimée, dans le décor crée par un autre ?
C'est à ce désir de refuge que renvoie le premier roman de Virginie Bouyx, où les lignes de fuite se rassemblent autour d'un tableau, qui devient point de mire, lieu de respiration et de rencontre.
Plusieurs histoires s'entrecroisent, abolissant ainsi toute notion d'espace et de temps.
Il y a Yoko, jeune femme qui vit sur l'île de La Réunion avec son père, depuis le décès de sa mère.
Il y a Andréa, qui vit seul à Paris, et qui rend visite deux fois par mois à son père, veuf, vivant sur la côte atlantique.
Il y a le botaniste François Liotay, qui, au siècle dernier, fit construire sur un îlot perdu au large de La Réunion, une demeure au charme colonial, enfouie au milieu d'une végétation exubérante.
Cette maison "d'architecture créole, avec varangue et lambrequins", il l'immortalise sur une toile, dans "son fouillis d'arbres et de plantes tropicales,(...) une allée bien entretenue, bordée de palmiers“ et ”des collines basses et bleutées" au loin.
Dans ce tableau, des recoins sommeillent, des replis, sur lesquels le regard, désireux d'agrandir l'horizon, peut se plaire à déceler des détails qu'il prolonge mentalement, afin de restituer au paysage initial toute son amplitude, et d'un saut, imaginer s'y promener.
C'est ce que font tour à tour, dans des lieux différents, Yoko et Andréa qui ont en leur possession, elle le tableau original, lui une copie qu' a réalisée sa mère.
Tous deux viennent se réfugier là, dans la contemplation de cette peinture, immuable, qui parle d'un temps où les désordres occasionnés par le dérèglement climatique n'engloutissaient pas les îles et laissaient la végétation croître et exulter.
Et si ce temps d'immersion dans une toile devenait réel ? Et si ces déambulations aux confins du tableau devenaient de vrais pas concrets, posés sur un chemin inexploré ?
C'est ce qu'imagine Virginie Bouyx dans La Varangue, un roman qui se vit comme un rêve, où le réalisme magique avec lequel sont dépeintes les scènes se confondent avec les métaphores qu'elles suscitent, et l'on s'évade en chevauchant les touches de peinture. Une ode au pouvoir et à la force de l'imagination, refuge pour des temps difficiles.

CR