L'Œil, Claire Castillon (2023)
Lun 24 Avr - 19:43
L'Œil, recueil de vingt-et-une nouvelles de Claire Castillon, s'ouvre sur l'histoire d'une femme qui, alors qu'elle est assise tranquillement au jardin du Luxembourg et qu'elle regarde des sportifs entamer une danse collective au ralenti, sent ses forces la quitter. Qu'a-t-elle? On ne sait pas mais, ce qui est sûr, c'est qu'elle n'est plus capable de se mouvoir sans se tenir accrochée aux choses ou à leurs rebords...
"Ma vie prend alors de la vitesse et mon lit m'emmène vers des sommets merveilleux. À condition qu'aucun de mes bords ne touche les parois de mon rêve. Elles sont comme des lames de rasoir. C'est pour cette raison que je me réveille souvent en criant."
Ces textes courts parlent de nous. Ce qu'ils ont de savoureux (on y prend vite goût lorsqu'on a compris le principe), c'est qu'ils réinventent la forme de la nouvelle à chute. L'histoire se termine d'une manière et puis, on tourne la page et on trouve une annexe toujours surprenante, qui nous fait sourire ou nous inquiète, soulignant la folie des personnages, donc la nôtre.
Parmi eux, on croise beaucoup de femmes : celle qui a pris en horreur son compagnon et ne sait pas comment le quitter ("Le gras du poulet"), s'enfermant dans une lâcheté qui la dépasse ; celle qui est soumise à sa mère et à ses ancêtres, au point de ne pas vivre sa vie et de s'enfermer dans des objets du passé, un environnement vieillot, puis de se fondre dans un tatouage qui n'en finit plus, pour se perdre ("Ma vraie peau"), ou celle encore qui s'éprend d'un SDF ("Mon sauvage"). "La cérémonie du jambon" est amusante : une histoire de chiens qu'on gâte tellement que... Et dans "Le rat", la narratrice est obsédée par un long poil qu'elle a sur la jambe et ne parvient pas à arracher (la chute est drôle!). Mais dit comme cela, on se demanderait : "Quel est l'intérêt?" Au contraire ! Ces textes se lisent agréablement, car ils racontent avec juste ce qu'il faut de décalage nos vies, et avec beaucoup d'originalité dans la forme. On sourit, on entre tout de suite dans chacune de ces existences qui se succèdent et qui, au fond, nous montrent une certaine tristesse contemporaine.
La nouvelle "Instagram" est très bien vue aussi quand Claire Castillon raconte l'histoire de ce grand-père désireux de rester connecté, même maladroitement puisqu'il n'a pas les codes, à sa famille...
L'une de mes préférées est "L'Œil ", la nouvelle éponyme : un étrange virus s'abat sur les gens... une amnésie du plaisir ! Et du plaisir sous toutes ses formes : la narratrice, par exemple, se "fait un plaisir" de savourer son chocolat liégeois, mais l'instant est vécu sans qu'elle s'en rende compte. Elle a le droit à l'"avant", à l'"après", mais pas au "pendant". Pour vérifier si elle est vraiment atteinte de ce mal, elle donne rendez-vous à son amant de printemps, qu'elle voit une fois l'an, mais ne se souvient pas du tout du plaisir qu'elle a eu avec lui. Et cette maladie est très contagieuse... N'est-ce pas une manière de nous raconter qu'il est important de profiter du temps présent ? Carpe diem...
Je n'ai pas retrouvé où cette phrase était mais j'ai aimé :
"On s'en fiche ! On a les étoiles..."
CM
Gallimard, 4 mai 2023
Cécile R aime ce message
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