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Monastère, Serge Filippini (2023) Empty Monastère, Serge Filippini (2023)

Mer 31 Mai - 14:57
Monastère, Serge Filippini (2023) 34899910


Monastère est un livre hors du temps, un vrai roman qui nous fait traverser les mers dans une atmosphère sombre et médiévale. Le jeune Oceano est poussé par Shem (sorte de moine fantôme lui murmurant ce qu'il doit faire,  représentation symbolique de Dieu ; Hashem, c'est le Nom, c'est D.ieu, dans le judaïsme) à quitter la Francia pour aller construire (ou refaire vivre) un monastère en mer d'Irlande. Arrivé sur une île rocailleuse, habitée par les macareux, les moines et les fous (de vrais oiseaux, ici, même si on se plaît au double sens de ce mot), Oceano veut s'inscrire dans les pas de son ancêtre Lorenzo, jeune clerc qui a laissé, au VIème siècle, une coupe où l'eau devient vin. Mais, sur Skelig Mhichil, l'île Saint-Michel, cette terre qu'on lui a promise au bout du monde, règne désormais le mal, en la personne de John Prince, un moine renégat et malfaisant :

"Vivez libres ! Il n'y a pas de dieu. Il n'y a rien.L'âme n'est pas immortelle. Elle n'existe même pas, l'âme. (...) Tout ce que nous avons en venant au monde, c'est un corps. Et il est fait pour deux choses : rester en vie et jouir tant que c'est possible. En attendant que la mort le fauche comme une herbe. Comme l'herbe qu'il est."

C'est l'époque des  Vikings, et les moines ne sont jamais à l'abri des pillages des mécréants. Sur l'île, Oceano trouve un monde décadent. Il y rencontre une femme, Arden, dont il tombe très amoureux. Or il veut être un moine intègre et refuse de céder à son désir, bien qu'elle tente de lui faire comprendre que l'amour n'est pas un péché. Cette femme prône d'ailleurs la cohabitation des deux sexes dans les monastères. Un jour, quand les Viks débarquent avec à leur tête Dädelsen, désireux de se faire baptiser et de rompre avec les dieux nordiques, Oceano est contraint de repartir avec eux. Poussé par son amour pour Arden et sa foi, il échappe à plusieurs épreuves et, obéissant toujours à Jay (Jésus, dans ces contrées), il poursuit sa quête : perpétuer la tradition de Lorenzo en protégeant le calice qu'il a légué à la postérité.

Le roman s'articule entre le récit d'Oceano lui-même et celui en italique des témoins de son temps ou des temps plus anciens. Par cette biographie fictive d'un moine inventé, Serge Filippini nous emporte avec douceur dans un monde pourtant cruel. Il donne à voir les lieux, nous fait battre par les vents. Il raconte l'ambiguïté de la foi, les faiblesses humaines et nous narre une belle histoire fleurant l'univers du Nom de la Rose, sans intrigue policière, centrée sur le cœur de l'homme.
À la devise de Saint Augustin "Ayez une seule âme et un seul cœur" se substituent peu à peu les jolis mots de la femme aimée : "Cortezia sola dominatur"... "Cortezia, c'est l'amour, dans un sens plus vaste que celui qu'on éprouve pour Dieu. Jusqu'au bout, Arden tentera de faire comprendre à Oceano que la contemplation d'une femme n'éloigne en rien de l'amour de Dieu. Les figures féminines, dans Monastère, sont toutes là pour apporter la nuance et l'humanité. Arden, donc, mais aussi l'interprète Gaia (la Terre...), ou encore Liv, à la frontière des deux sexes, accomplissant la jonction entre les hommes et les femmes au sein du monastère.

Sur les lieux errent des âmes, comme celle d'Ito Expeditus, un moine assassiné revenant des Chez les Morts aux moments-clefs de certaines vies. Il faut se laisser fouetter par ce vent des mers du Nord, tendre l'oreille au chant des goélands survolant un monde menacé, une chrétienté fragile.

De la bouche d'Arden, on retiendra ce viatique :

"Car même un amour sans espoir, c'est encore de l'amour et c'est mieux qu'un cœur vide. "

Monastère, Serge Filippini (2023) 35094310

Ajoutons à cela que ce livre, de facture classique, est bien écrit. Sans grands éclats, peignant un monde fragile où tout semble vouloir mourir, il appelle à la lenteur et à la contemplation, et cela fait beaucoup de bien de se retirer sur les montagnes escarpées, seul, en pleine mer... dans une lecture méditation (bien plus efficace que les préconisations de notre époque... qu'une séance de yoga en ville !).

Céline Maltère


Monastère, S. Filippini, éditions Phébus



Pour rappel, le très beau livre (du même auteur) sur Breton. Comme avec les moines, on avait l'impression d'y être :

Source : https://edencash.forumactif.org/t1033-rentree-litteraire#10814

Nadja II (J’aimerai André Breton)


Pour s’attaquer à une figure telle que celle de Breton, « pape du surréalisme », il faut avoir une bonne connaissance du personnage et de ses œuvres, car tout pourrait très vite sonner faux. Dans son roman J’aimerai André Breton, Serge Filippini se risque à cet exercice, et il s’en sort avec brio. Il invente une nouvelle Nadja, une certaine Chance Salvage, qui débarque par hasard à Saint-Cirq-Lapopie (elle a ouvert un compas sur une carte de France) après avoir subi un viol conjugal. On est en 1966, le 24 septembre : le célèbre écrivain André Breton se repose dans sa maison d’été, en compagnie de sa femme Élisa : il est très mal en point. Sa rencontre avec Chance réveille son désir. Là, le lecteur se dit qu’il va être difficile de faire la différence entre le réel et la fiction, mais il y aura du charme à se laisser porter entre le vrai et le faux : l’essentiel est le vraisemblable.
Sur son exemplaire poche de Nadja, Chance écrit « J’aimerai » au-dessus du nom de l’auteur. Ainsi, elle se prédestine à cette rencontre, sujet si cher à l’écrivain surréaliste qui l’a développé dans L’Amour fou, où il raconte cette merveilleuse nuit parisienne qui le conduit sur la route de son nouvel amour, et qui se termine par ces mots à sa fille Aube : « Je vous souhaite d’être follement aimée ». Chance veut aimer follement. Très vite, Breton l’étreint. Le moment n’a rien d’une extase… Elle capture quelques poils pubiens du poète, qu’elle glisse dans une enveloppe cachée entre les pages de son livre-fétiche, une manière de ne pas perdre la trace de la rencontre surréelle…
Car le hasard a voulu cette rencontre. Des années auparavant, en sortant de l’église Saint-Sulpice, Chance a croisé Breton, accompagné de Man Ray :

« André Breton fixait sur elle un regard impérieux, comme s’il voulait faire d’elle sa favorite » (p.15)

Et l’expérience de la rencontre est poétique :

« Elle entendait la poésie comme un chemin dont le tracé se révélait dans son cours même. (…) Quel tribunal n’avait sa beauté ? Quelle prison ? » (p.23)


L’entourage de Breton ne voit pas d’un bon œil ce soudain désir de l’auteur septuagénaire. D’abord son épouse, Élisa, puis Radovan Ivsic, poète croate proche de lui. On fait comprendre à Chance qu’il vaudrait mieux qu’elle parte. Mais Breton a écrit dans son exemplaire de Nadja son adresse et ces mots : « NE M’ABANDONNE PAS. » Quand il sera hospitalisé à Paris, Chance le suivra, même si elle semble être un fantôme : tous refusent de la voir (la voient-ils, seulement ?).
André Breton meurt le 28 septembre 1966. Les quatre jours durant lesquels Chance l’a connu seront décisifs pour elle : après avoir rencontré cet homme, la vie est transformée. « Modifier le réel pour en libérer le merveilleux » (p.27), tel est le testament littéraire du poète. Quels sont ces pouvoirs magiques qui bouleversent et rendent folles les femmes ? Nadja a fini à l’asile ; à la mort d’André Breton, c’est un autre roman qui commence. Que va devenir Chance, désormais contaminée par le poète ?
Ce récit, bien écrit, nous conduit jusqu’au XXIème siècle. Le narrateur a connu Chance Salvage : c’était une vieille femme, une rebouteuse, qui vivait dans une chaumière à Montfort-Désert, et qui s’était vouée à Dieu. Comment Chance, éperdue et folle d’André Breton, est-elle devenue cette « sauvage » cachée dans les bois? En effaçant toute trace de son passage près de Saint-Cirq-Lapopie, Serge Filippini rend probable son existence, ce qui donne sa force au roman. Le texte, qui ose même donner à lire des poèmes inventés, nous raconte ce qu’est un destin et nous rappelle que le poète est aussi un messie : « La Révolution sera faite, et elle aura raison de nos scrupules. » (p.114), a écrit Breton dans un texte oublié ou perdu, à la veille de mai 68…
J’aimerai André Breton, Serge Filippini, Phébus, 2018 (17 euros).


Dernière édition par Le Manoir le Mer 31 Mai - 15:20, édité 4 fois (Raison : uteur)
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