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"Sur les rives du Styx", Ici-bas, Châteaureynaud (2023) Empty "Sur les rives du Styx", Ici-bas, Châteaureynaud (2023)

Sam 20 Jan - 8:28
"Sur les rives du Styx", Ici-bas, Châteaureynaud (2023) 97822415


Écorcheville respire un air de fin des temps : quand les pluies s'abattent sur la ville, ce sont des averses d'oiseaux ou des grenouilles. Depuis presque quarante jours, le ciel ouvre ses vannes, et le fleuve ne cesse de gonfler, faisant surgir des créatures étranges. Parmi elles, des Harpies nichent dans les arbres et s'en prennent à des habitants. On voit aussi apparaître parmi les humains une Hespéride et un homme à tête de taureau. Qu'annonce cette confusion des mondes, séparés par le Styx et la barque de Charon?

Ici-bas raconte l'histoire de la fin d'Écorcheville, en mettant en scène de très nombreux personnages, que le lecteur a pu découvrir auparavant dans les deux volumes de la trilogie (L'Autre rive, 2007 ; À cause de l'éternité, 2021). De puissantes familles, comme les Bussetin, les Propinquor et les Esteral,  règnent sur la cité. Au cœur de la ville, pourtant, l'hybridation a déjà eu lieu : ne va-t-on pas se faire faire ses robes et ses costumes chez Lachésis fashion, boutique tenue par les trois Moires ? Biquet et Angelina cachent, depuis leur enfance, des pieds en forme de sabots, et leurs cornes sont annuellement limées par leurs parents... Ils sont entre-deux mondes, comme les chats dont le professeur Bifrons dit :

"Les chats ne sont pas tout à fait d'ici. Ils n'ont qu'une patte dans cet univers. Une part de leur être vagabonde dans un autre avec leurs trois pattes restantes, d'où leur côté braque, leurs autres d'humeur. C'est qu'ils se demandent tout à coup ce qu'ils font là."

Dans ce roman mythologique, on se demande la place des vivants et des morts. Quel est ce monde où on a voulu cacher la force de l'imaginaire, tout en vivant avec ses représentants ? En effet, qui est plus intrigant, plus respecté que le directeur de l'institut Ouranos, ce psychiatre aux deux visages, tel Janus ? De son côté, Strabon Martin, professeur de mythologie, qui s'occupe du musée tératologique, défend ce que d'autres appellent les monstres. Au moment de l'invasion des Harpies, il se désole, en même temps que le lecteur, de l'ordre du Maire de les abattre alors qu'elles sont les preuves précieuses, malgré leur caractère horrifique, d'un au-delà. Les Écorchevillains cherchent à se voiler la face jusqu'au bout...
Le mystère plane. Qu'y a-t-il sur l'autre rive ? Sauf les morts et les créatures mythologiques, personne ne peut traverser le Styx et revenir pour en parler. On pense par moments, pour l'ambiance et les dynasties, à l'étrange rivière de Blackwater de Michael McDowell, qui charrie aussi une énigme. Ce roman de Georges-Olivier Châteaureynaud nous interroge sur les frontières, le réel et l'imaginaire, ainsi que nos limites :

"Les notions d'étendue et de durée n'existent-elles nulle part ailleurs que dans la conscience exiguë des mortels accrochés à l'idée rassurante d'une réalité à leur mesure ?"

Il nous parle d'un peuple qui vit juste à côté de la mort, tout en essayant d'ignorer l'idée de sa finitude. Les Écorchevillains ont bien tenté, il fut un temps, de construire un pont pour aller voir de l'autre côté du Styx. Mais la construction s'est écroulée, et ils n'ont pas pu aller de leur vivant dans le monde des morts, privilège réservé à quelques héros, tels Orphée, Énée ou Héraklès ; et Charon est un nocher peu aimable, qui refuse de déroger à la règle. De quoi meurt-on ? Y a-t-il toujours une cause ?

"Il n'est mort de rien... mort de mort, si vous préférez. C'est un cadavre abstrait.", dit l'un des personnages.

Que signifie ce déluge ? Qu'annonce-t-il aux hommes ? Et soudain, dans cette atmosphère diluvienne apparaît une autre créature : un bébé ange, attaqué par des Harpies sur le parvis de l'église, est sauvé par l'évêque. Il pourrait être l'espoir que la population attendait. Or, on tait son existence, on le cache aux yeux du monde, de peur, sans doute, qu'il soit récupéré par les autorités et qu'on exploite son innocence et tout ce qu'il porte de symbolique.

"Là-bas, quelque chose s'est amassé et s'apprête à déferler. Je ne parle pas de l'inondation matérielle et du gigantesque dégât des eaux qui nous menace, mais d'un débordent mental, d'une catastrophe spirituelle."



C. Maltère


Ici-bas, Georges-Olivier Châteaureynaud, Grasset, 2023.

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