"Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien?" Les débuts, Claire Marin (2023)

Par où commencer, me demandé-je, réfléchissant à la meilleure façon de rendre compte le plus fidèlement possible de l'essai de Claire Marin Les débuts, qui vient de paraître aux éditions Autrement. Comment ne pas le trahir, si ce n'est peut-être en s'interrogeant avec elle sur ce qu'est un début, sur tout ce qu'il contient, de promesse, d'ouverture vers des possibles qu'il amorce, dans la fraîcheur des premières fois ?

Se lancer, mettre un mot l'un derrière l'autre, un mot sur la page, un commencement, comme un saut dans le vide, mais pour suivre ses traces, sans mettre mes pas dans les siens. Tout en suivant ceux-ci, inventer les miens, porter ses propos et les faire résonner, leur rester fidèles tout en convoquant en moi mes émotions et expressions propres.
Différence et répétition. Répéter jusqu'à ce que soudain, une voix émerge, qui se différencie et bifurque, devient un je qui se creuse. Mais ce je qui balbutie, d'où commence-t-il, y a -t-il un début, ou juste un épaississement dans le temps, une continuité qui charrie ses alluvions, forme barrage et apparaît à un moment comme une évidence ?
Revenir au texte de Claire Marin, qui saisit par sa justesse, sa mélodie, ses courts chapitres qui, comme des ondes dans l'eau, se propagent en cercles concentriques autour d'une idée, l'égrainent avec d'infinies variations, multipliant les nuances par un jeu subtil de perspectives qui en modifient l'approche.
Se laisser porter par sa prose à la fois poétique et philosophique, en tout cas élégante et empreinte de douceur, qui explore par petites touches à la façon impressionniste le thème de l'origine, du commencement.
Me vient à l'esprit cette question d'Heidegger : "Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien?", autour de laquelle, même si elle n'y fait pas allusion, Claire Marin semble graviter, interrogeant l'émergence, le dévoilement, le surgissement, le passage du non-être à l'être, glissant à pas feutrés d'une interrogation à une autre, mais toujours en restant au plus près de l'émotion, dans une intimité avec ce qui balbutie, est sur le point de surgir, commencer.
Ces variations de pensée, proches d'une attitude poétique de traduction du réel, incitent à rester attentif à ce qui, autour de soi et en soi, point, même de manière fugace, invitant à accueillir l'inattendu, à lui faire de la place, pour laisser s'épanouir et commencer une histoire, une émotion, quelque chose de nouveau et d'imprévu.
Quand la philosophie s'empare du réel pour en saisir son éclat et lui donner l'importance qu'il mérite, un réel toujours neuf, sur lequel se pose un regard débarbouillé et rincé de toutes les habitudes, alors la philosophie se fait poème, alors la philosophie devient chant. Pour " créer de l'inachevé, ouvrir. Exercer ce beau métier d'initier. Semer. Donner l'impulsion."

" Si l'on peut parler d'une poétique des débuts, cela tient à l'émotion éprouvée devant l'éclosion, face au dévoilement de ce qui restait caché. Fragilité saisissante de ce moment d'épanouissement d'une puissance jusqu'alors dissimulée. Beauté de l'éphémère, dans l'équilibre délicat entre l'absence et la manifestation, entre l'invisibilité et l'esquisse d'un possible."

Cécile Roussilhe