Rachilde, homme de lettres

Marguerite Eymery vit à la campagne, dans le Périgord, entre une mère très centrée sur elle-même et un père absent à cause de la guerre. À la maison, on fait tourner les tables : Urbain, le grand-père de Marguerite, s'intéresse beaucoup au spirite Allan Kardec. En compagnie de sa femme, de sa fille et de sa petite-fille, il interroge les esprits.
Marguerite est solitaire et se sent prisonnière de sa condition de femme, d'autant plus le jour où son père, de retour, lui annonce qu'elle va se marier. Terrifiée par cette idée, Marguerite se réfugie au bord d'une mare à grenouilles : subit-elle un viol, l'imagine-t-elle? Son esprit se perd... et, lors de la première chasse au loup où elle accompagne son père, elle assiste à la crucifixion de la bête, dans laquelle elle voit son reflet. Elle la décloue de l'arbre : c'est décidé, elle restera libre.
Nourrie des livres de Sade et de Victor Hugo, elle écrit des choses étranges, qui ne correspondent ni à son sexe ni à son âge, jusqu'au jour où sa mère, déçue par son mariage (le père le trompe et la bat), part avec elle à Paris, car c'est là-bas que les choses se passent. Mais ce n'est pas Marguerite qui monte à la capitale : c'est Rachilde, ce jeune homme du XVIème siècle qui habite son corps et lui donne son nom. Lors d'une cérémonie, comme une défloration publique, sa lourde natte est coupée par un prince russe : Rachilde ne veut pas être une femme.
Premières rencontres avec les Hydropathes... Rachilde se lie d'une amitié très forte avec Jean Lorrain. Elle veut être publiée ! Son roman, Monsieur de la Nouveauté, trop scandaleux, est censuré.

Dans Rachilde, homme de lettres, Cécile Chabaud écrit le roman des premières années de Rachilde : on la voit chercher et trouver sa place à Paris, et l'on s'étonne que cette femme, qui renvoie une impression de force de caractère, soit la plus chaste de toutes. Ses écrits tempétueux contrastent avec sa vie de presque recluse et de vierge. Et même quand une sculptrice, ancienne maîtresse de Maupassant, vit sous son toit et brûle de désir pour elle, Rachilde ne lui cède pas, pas plus qu'elle n'a de relations avec les hommes. Par chance, sa passion pour Catulle Mendès, qui ne fait que l'avoir séduite, restera platonique et sans lendemain, la conduisant quand même sur la route familière de la folie, à l'asile de Charenton où séjourna aussi le marquis de Sade.
Personnage étrange, difficile à cerner, Rachilde est racontée dans cette biographie romancée. On y mesure tout l'écart qu'il peut y avoir entre l'imagination et la vie. Écrire peut remplacer la vie, surtout quand l'imagination est si forte, si monstrueuse qu'elle supplante d'emblée le réel. Cette jeune femme en retrait dompte et libère ses monstres pour affronter le monde. Elle défie son époque, rêve de dépravation littéraire et, avant l'heure, de confusion des genres. Mais ce monde-là, même décadent en cette fin de XIXème siècle, est-il à la hauteur? L'ouvrage se termine par une lettre d'admiration à une autre "homme de lettres" de son temps, Colette, lettre où Rachilde se rend compte et confesse qu'elle n'a et n'aura pas la postérité littéraire qu'elle espérait. Et pourtant, selon Maurice Barrès avec qui elle a eu une relation d'amour platonique, n'était-elle pas Mademoiselle Baudelaire?