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Feth fiada... le monde de Martine Hermant Empty Feth fiada... le monde de Martine Hermant

Lun 12 Juil - 7:31
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Si l'on cherche la définition de "feth fiada", cela désigne une "brume ou un voile magique dans la mythologie irlandaise". Martine Hermant donne ce titre à l'une de ses nouvelles, qui raconte comment un homme amnésique, dont la paume de la main est incrustée d'un miroir, entraîne deux autres personnages dans une quête intérieure.

Feth fiada... il en est question aussi dans Le Choix d'Esteban, un conte où se rencontrent le cerf et la licorne.
Esteban a trente-trois ans, l'âge symbolique, du Christ et de l'arsenic. Il a décidé de s'installer dans une vie bien réelle, de s'établir avec Élise dans une relation "normale". Mais comment réussir ce passage si difficile? A-t-il vraiment envie d'abandonner son existence magique, d'abandonner ses rêves ?
Marianne est une fée (prosaïquement, c'est aussi son "ex"). Elle l'aide à passer de l'autre côté en lui donnant différentes pistes à suivre et en le confrontant à de multiples symboles. Auprès d'elle, la réalité perd de sa substance, car Marianne vit dans l'autre monde qu'elle a choisi, mais elle ne veut pas contraindre Esteban à y demeurer avec elle.

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Lorsque Esteban voit un cerf lui apparaître dans la lumière, il comprend que c'est son animal totem, tout comme la licorne est celui de Marianne. Il va le suivre, quitte à se confondre avec lui, se perdre sur des "sentes" étranges qui doivent déboucher sur un choix. Le fameux choix... la Décision (comme le dit aussi le tarot des licornes de Martine Hermant).

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Dans ce conte aux multiples références, il y a un château qui ressemble à celui du conte de Madame Leprince de Beaumont, La Belle et la Bête, et où l'on ne cueille pas impunément les roses ; château qui ressemble aussi à ceux des romans de chevalerie, dans lesquels les ponts-levis s'abaissent tout seuls et où surgissent des femmes belles et étranges.
Le Démon du Matelas, incarné en peinture par Füssli, tourmente Esteban. L'Arbre aux Contes lui présente des routes, mais il faut emprunter la sienne. Il traverse aussi la Nuit de Samain où il rencontre ses morts, ceux qu'il a pu être ; il foule la voie des rêves qui le mène à une femme fatale à laquelle il se donne, Calypso dont il souhaite rester prisonnier.

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"Le Cauchemar", Füssli




Marianne est la protectrice. On sent en elle un renoncement : par amour, elle a laissé partir Esteban et va jusqu'à lui montrer sa voie.
Ce que j'aime, dans ce texte, c'est la magie douce, la sérénité qui s'en dégage, une poésie des lieux et une sagesse qui se découvre à travers les symboles. Aucune mièvrerie dans ces lignes, pas d’ésotérisme facile ou béat, mais un vrai monde où évolue l'auteur, double de ses personnages. On la reconnaît sous ses voiles parme, entourée de chats et bienveillante.
Le conte est illustré des aquarelles de l'auteur, dont on aime la modestie et qu'on trouve très réussies, et de deux dessins, plus torturés, du véritable Esteban.

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"Le joueur, dans le rêve", Odilon Redon




L’ambiance sylvestre, la présence de la Lune, le lit à baldaquin, les références à Nerval, à Redon, et même à ces oiseaux du persan Farid al-Din Atta, construisent un onirisme propre à Martine Hermant, qui, par une écriture simple et belle, nous embarque avec douceur dans son monde.

Aux éditions Créer, 2017.
Céline Maltère
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Feth fiada... le monde de Martine Hermant Empty La Vierge au lait

Dim 26 Juin - 16:42
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Cette phrase de Ligeia ouvre le recueil La Vierge au lait : « Comme si, par l’énergie sauvage, la passion solennelle, l’ardeur dévorante de ma passion pour la défunte, je pouvais la ressusciter dans les sentiers de cette vie qu’elle avait abandonnée — pour toujours ? Était-ce vraiment possible ? » Chez Edgar Poe, « la mort d'une belle femme est incontestablement le plus poétique sujet du monde » et les défuntes suscitent les passions les plus vives. Dans le texte inaugural qui donne son titre au livre de Martine Hermant, le narrateur est attiré irrémédiablement par un château, celui de Bois-Sir-Amé, non loin de Bourges. Une nuit d’été et de pleine lune, il marche dans sa direction. Au milieu des ruines, il entend une voix, puis devine la silhouette d’une femme en prière, aussi « brillante et laiteuse » que la lune. Pris de peur, il s’enfuit, mais le trouble provoqué par cette femme très belle le pousse à retrouver sa trace. Il réalise alors que les rencontres ont lieu seulement durant les jours où la lune est pleine et où son attraction est telle qu’elle donne accès à une autre réalité.
En effet, la Dame Blanche dont il est épris est morte depuis des siècles : elle n’est autre que la favorite de Charles VII, la grande amoureuse Agnès Sorel. Le désir du narrateur devient de plus en plus fort. Il est même jaloux des anciens amants de sa dame, dont fait partie le célèbre argentier Jacques Cœur. Si solitaire, aime-t-il une morte ou invente-t-il une femme idéale dans les vestiges de cette bâtisse qui lui a appartenu ? Plus le récit avance, plus le lecteur se demande s’il n’est pas témoin d’une folie galopante : la femme est impalpable, silencieuse, presque transparente ; pourtant, il veut l’épouser. Elle refuse de se donner complètement à lui, et, dans leurs chastes étreintes, il la couvre de baisers et de caresses en attendant le jour où elle sera sienne. Peu à peu, la réalité berruyère s’efface : tout à son délire amoureux, n’attendant plus que les nuits de pleine lune qui engendrent les rencontres avec l’adorée, l’homme, chevalier et trouvère, se renferme sur lui-même pour mieux s’enivrer de sa morte amoureuse.
L’ésotérisme de Martine Hermant n’est pas celui d’une illuminée. Chez elle, la réalité et le rêve ne font qu’un, il faut simplement trouver le « passage », comme elle le racontait déjà dans Le Choix d’Esteban (2017). La lune, personnage puissant et double d’Agnès la pure, s’incarne dans une levrette blanche présente dans le réel, au moment où l’on aurait pu croire que tout n’était que fantasme ou folie. À la lecture, on a l’impression que le narrateur est l’auteur elle-même, et une voix de femme s’impose à l’esprit du lecteur, se superpose à ce « je » pourtant masculin, permettant à tout lecteur, homme ou femme, de s’identifier à cet amoureux fou. L’escarboucle qu’il offre à sa future épouse, au cours de noces qui poussent au comble l’atmosphère onirique, est aussi rouge que les lèvres d’Agnès, la Vierge au lait peinte par Jean Fouquet, maîtresse au sein blanc découvert et dont le portrait a été très joliment reproduit par l’illustratrice du recueil, Christine Brignon, au trait fin et précis. « La Vierge au lait » est une invitation à l’amour fou, à sortir de la normalité et à suivre les signes même si aimer follement, c’est aussi courir à sa perte…
Dans les autres nouvelles, toujours dans une ambiance lunaire ou sylvestre, où les ruines rappellent celles de Friedrich, les morts troublent encore les vivants, comme ce gisant qui fut un beau et sulfureux chevalier et dont le corps de pierre attire Gabrielle… La fin’amor est poussée à son comble quand l’objet du désir est insaisissable : s’éprendre d’une statue, aimer l’absente, désirer un fantôme, « vouer une passion morbide à un être mort depuis des siècles, le croire incarné dans son gisant, n’(est)-ce pas un moyen de renoncer aux réalités de ce monde ? » (« Le corps de pierre »). Peut-on imaginer plus courtois chevalier que celui qui cherche à faire revivre une morte ? Les textes du recueil sont un hymne à la nature et à ce qui s’y cache : un feu-follet, comme on en croise dans la campagne de George Sand, illumine les yeux d’un chat ; une licorne préserve la vertu des femmes, les sorcières font la ronde ou sont chassées par des hommes en rage, et les nymphes, nichées au cœur des arbres, s’invitent dans les rêves d’un bûcheron, tel un avertissement… L’escarboucle, offerte à Agnès, orne enfin le front de la Vouivre et clôt le livre, perpétuant le rêve comme une seconde vie : « J’aime bien y croire… tout est possible après tout ! »
C.M.
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