Pierre Benoit vu par ses contemporains
Ven 23 Avr - 11:37
Pierre Benoit vu par ses contemporains, par Stéphane Maltère
« Mais lisez donc le charmant Pierre Benoit ! […] C’est un homme qu’on peut aimer », dit un jour Maurice Barrès à Maurice Martin du Gard. À en croire Marcel Pagnol, l’auteur de L’Atlantide n’avait pas d’ennemis car « il était bon, serviable, généreux ». Sa bonhomie, son humour, son esprit l’ont en effet toujours fait apprécier de la plupart de ses confrères écrivains. « Ses yeux immenses, d’un bleu de charme », comme le souligne Paul Guth, n’étaient pas pour rien dans la séduction qu’il exerçait sur eux.
Pourtant, au début de sa carrière de romancier, Pierre Benoit s’est attiré de solides inimités, dont la plus célèbre a été celle du critique littéraire du Temps Paul Souday qui lui reprochait « ses récits, distrayants, mais sans valeur et bons à lire en chemin de fer », des écrits négligés dignes du roman-feuilleton : « Qui se refusera à conclure, écrit-il en 1921, que non seulement M. Pierre Benoit n’a pas de style, mais qu’il ne sait pas ce que c’est ? » Soutenu par d’autres critiques plus fervents, mais aussi par ses maîtres, Pierre Benoit prend pour bonne publicité ces agressions répétées. André Suarès, dont il est proche à ses débuts, lui écrit même : « Les injures de Trissouday vous honorent. […] Que ne vous a-t-il vu rire de son article et de lui : vous seriez bien vengé. […] Je vous ai disséqué ses jugements ; je vous ai montré l’anatomie de ce gros corps plein de mensonges utiles, d’intérêts haineux, de politique et d’habiles perfidies. Tout est sauvé, puisque vous pouvez en rire. »
S’il n’est pas douteux que Paul Souday ait lu Pierre Benoit, le mépris de certains de ses prestigieux contemporains ne s’embarrasse pas d’un tel détail. Dans la correspondance privée de Marcel Proust, on trouve cette pique gratuite, qu’il adresse à son ami Philip Sassoon : « Je ne connais pas une seule ligne de Pierre Benoit. Léon Daudet écrit de temps en temps que je suis le premier écrivain français, ce qui me fait un certain plaisir, et qu’après moi c’est Benoit, ce qui détruit le plaisir. »
Peut-être Proust a-t-il lu les reproches qu’on adresse au jeune écrivain : un succès facile, un lectorat féminin – supposé peu regardant sur le style –, « une fécondité presque mécanique », comme l’écrit Armand Praviel, et des montagnes d’invraisemblances dans l’intrigue, comme dans les personnages dont la psychologie n’est pas expliquée. Style négligé, périodicité des publications – la honte du roman annuel –, plagiats, les premières années du romancier sont marquées par des attaques souvent déloyales. On comprend, évidemment, qu’elles dissimulent le principal reproche, celui qui rend suspect l’homme et son œuvre : le succès.
Mais certains ont perçu, dans l’œuvre naissante l’auteur de Koenigsmark et du Lac Salé, que ce succès n’est pas une suite d’heureux hasards : « Bien que tout soit dit et que le monde se répète inlassablement, il y a dans chaque époque quelque chose qui n'appartient qu'à elle. Une manière de sentir, un rythme d'existence, des réflexes d'esprit et de cœur, bref un je ne sais quoi d'insaisissable dans la façon de juger la vie et de la prendre qui rapproche les gens d'une même période. » Ce jugement de Jean de Pierrefeu montre que Pierre Benoit, qui a toujours voulu être un écrivain de son temps, a su capter dans le public une attente de romanesque, un goût pour la petite histoire et la péripétie, une soif pour l’érudition accessible.
Dès lors, la plupart de ses contemporains mettent en avant les qualités de leur confrère : « Poète d’abord », estime Genevoix, à l’instar de Louis Chaigne qui lui accorde « le don de saisir la valeur, la signification profonde des choses », en évoquant d’un trait un paysage ou un souvenir : « Il est magicien, sourcier, prestidigitateur », ajoute-t-il. Pour Pierre Mac Orlan, « Pierre Benoit donne de la santé poétique à tout ce qu’il touche ». Il possède aussi « ce don précieux, selon Roland Dorgelès, de faire vivre des ombres, de rendre réel l’invraisemblable ». Ses qualités de conteur procèdent du « mécanisme extrêmement subtil de cette horlogerie littéraire » dont il est un maître. Cette habileté narrative, soulignée par Genevoix, est expliquée par André Maurois : « Un grouillement de caractères, une multiplicité d’intrigues, un enchevêtrement d’engrenages, rien ne l’effrayait. Il dominait son monde. » Pagnol affirme que Pierre Benoit écrit pour raconter de belles histoires à ses lecteurs. Pierre Camo ajoute qu’il a « l’art de tenir sa curiosité éveillée jusqu’à la dernière page. » Dialoguiste hors pair pour Albert t’Serstevens, doté d’une incroyable culture, il est doué pour conduire son lecteur sur des chemins inattendus. Jacques de Lacretelle remarque que « dans tous ses livres, il considère un peu son lecteur comme un homme qu’il faut à la fois égarer et amuser. Il commence en sphinx et finit en détective. »
Aux reproches de rapidité, Roger Ikor oppose Balzac, à ceux de fertilité, il invoque Simenon. Pour celui de romancier facile, il fait amende honorable : « J’aurais soutenu la tête sur le billot que Pierre Benoit [...] est un conteur sans opinion sur le monde. […] Eh bien, c’est une erreur, et c’est une injustice. » « Gros travailleur sous un air négligent », d’après André François-Poncet, Pierre Benoit se montre, selon Maurice Reclus, un « subtil et profond analyste des comportements humains, surtout de l’âme féminine ». Des romans comme Mademoiselle de la Ferté ou Erromango ont su convaincre que Pierre Benoit pouvait se montrer fin psychologue, ce qui lui était fermement contesté à ses débuts. D’accord avec Mauriac qui affirme que Pierre Benoit a créé « un monde fatal, écrasant et glacé, où le vouloir humain capitule, à chaque instant, devant les puissances de l’instinct », Maurice Reclus atteste qu’il est « par excellence le romancier du fatum ».
Quand Roland Dorgelès, à la mort de son ami, ferme les yeux, il « retrouve l’œil pétillant, la lèvre malicieuse, les joues gonflées d’une joie contenue » de Pierre Benoit qui savait comme personne entretenir les amitiés et que Jean Cocteau appelait souvent, dans ses lettres, « mon beau joli ».
Comment faire comprendre qui était ce poète voyageur, semblable à « ces gros chats douillets » qui, selon Paul Reboux, observent le monde avec l’air de dire : « Que vous êtes sots ! Que vous prenez mal la vie ! Combien vous avez tort de vous bousculer de la sorte ! Que ne m'imitez-vous ?... » A cela, Pierre Descaves répond : « Pierre Benoit ne se raconte pas, il se lit. »
« Mais lisez donc le charmant Pierre Benoit ! […] C’est un homme qu’on peut aimer », dit un jour Maurice Barrès à Maurice Martin du Gard. À en croire Marcel Pagnol, l’auteur de L’Atlantide n’avait pas d’ennemis car « il était bon, serviable, généreux ». Sa bonhomie, son humour, son esprit l’ont en effet toujours fait apprécier de la plupart de ses confrères écrivains. « Ses yeux immenses, d’un bleu de charme », comme le souligne Paul Guth, n’étaient pas pour rien dans la séduction qu’il exerçait sur eux.
Pourtant, au début de sa carrière de romancier, Pierre Benoit s’est attiré de solides inimités, dont la plus célèbre a été celle du critique littéraire du Temps Paul Souday qui lui reprochait « ses récits, distrayants, mais sans valeur et bons à lire en chemin de fer », des écrits négligés dignes du roman-feuilleton : « Qui se refusera à conclure, écrit-il en 1921, que non seulement M. Pierre Benoit n’a pas de style, mais qu’il ne sait pas ce que c’est ? » Soutenu par d’autres critiques plus fervents, mais aussi par ses maîtres, Pierre Benoit prend pour bonne publicité ces agressions répétées. André Suarès, dont il est proche à ses débuts, lui écrit même : « Les injures de Trissouday vous honorent. […] Que ne vous a-t-il vu rire de son article et de lui : vous seriez bien vengé. […] Je vous ai disséqué ses jugements ; je vous ai montré l’anatomie de ce gros corps plein de mensonges utiles, d’intérêts haineux, de politique et d’habiles perfidies. Tout est sauvé, puisque vous pouvez en rire. »
S’il n’est pas douteux que Paul Souday ait lu Pierre Benoit, le mépris de certains de ses prestigieux contemporains ne s’embarrasse pas d’un tel détail. Dans la correspondance privée de Marcel Proust, on trouve cette pique gratuite, qu’il adresse à son ami Philip Sassoon : « Je ne connais pas une seule ligne de Pierre Benoit. Léon Daudet écrit de temps en temps que je suis le premier écrivain français, ce qui me fait un certain plaisir, et qu’après moi c’est Benoit, ce qui détruit le plaisir. »
Peut-être Proust a-t-il lu les reproches qu’on adresse au jeune écrivain : un succès facile, un lectorat féminin – supposé peu regardant sur le style –, « une fécondité presque mécanique », comme l’écrit Armand Praviel, et des montagnes d’invraisemblances dans l’intrigue, comme dans les personnages dont la psychologie n’est pas expliquée. Style négligé, périodicité des publications – la honte du roman annuel –, plagiats, les premières années du romancier sont marquées par des attaques souvent déloyales. On comprend, évidemment, qu’elles dissimulent le principal reproche, celui qui rend suspect l’homme et son œuvre : le succès.
Mais certains ont perçu, dans l’œuvre naissante l’auteur de Koenigsmark et du Lac Salé, que ce succès n’est pas une suite d’heureux hasards : « Bien que tout soit dit et que le monde se répète inlassablement, il y a dans chaque époque quelque chose qui n'appartient qu'à elle. Une manière de sentir, un rythme d'existence, des réflexes d'esprit et de cœur, bref un je ne sais quoi d'insaisissable dans la façon de juger la vie et de la prendre qui rapproche les gens d'une même période. » Ce jugement de Jean de Pierrefeu montre que Pierre Benoit, qui a toujours voulu être un écrivain de son temps, a su capter dans le public une attente de romanesque, un goût pour la petite histoire et la péripétie, une soif pour l’érudition accessible.
Dès lors, la plupart de ses contemporains mettent en avant les qualités de leur confrère : « Poète d’abord », estime Genevoix, à l’instar de Louis Chaigne qui lui accorde « le don de saisir la valeur, la signification profonde des choses », en évoquant d’un trait un paysage ou un souvenir : « Il est magicien, sourcier, prestidigitateur », ajoute-t-il. Pour Pierre Mac Orlan, « Pierre Benoit donne de la santé poétique à tout ce qu’il touche ». Il possède aussi « ce don précieux, selon Roland Dorgelès, de faire vivre des ombres, de rendre réel l’invraisemblable ». Ses qualités de conteur procèdent du « mécanisme extrêmement subtil de cette horlogerie littéraire » dont il est un maître. Cette habileté narrative, soulignée par Genevoix, est expliquée par André Maurois : « Un grouillement de caractères, une multiplicité d’intrigues, un enchevêtrement d’engrenages, rien ne l’effrayait. Il dominait son monde. » Pagnol affirme que Pierre Benoit écrit pour raconter de belles histoires à ses lecteurs. Pierre Camo ajoute qu’il a « l’art de tenir sa curiosité éveillée jusqu’à la dernière page. » Dialoguiste hors pair pour Albert t’Serstevens, doté d’une incroyable culture, il est doué pour conduire son lecteur sur des chemins inattendus. Jacques de Lacretelle remarque que « dans tous ses livres, il considère un peu son lecteur comme un homme qu’il faut à la fois égarer et amuser. Il commence en sphinx et finit en détective. »
Aux reproches de rapidité, Roger Ikor oppose Balzac, à ceux de fertilité, il invoque Simenon. Pour celui de romancier facile, il fait amende honorable : « J’aurais soutenu la tête sur le billot que Pierre Benoit [...] est un conteur sans opinion sur le monde. […] Eh bien, c’est une erreur, et c’est une injustice. » « Gros travailleur sous un air négligent », d’après André François-Poncet, Pierre Benoit se montre, selon Maurice Reclus, un « subtil et profond analyste des comportements humains, surtout de l’âme féminine ». Des romans comme Mademoiselle de la Ferté ou Erromango ont su convaincre que Pierre Benoit pouvait se montrer fin psychologue, ce qui lui était fermement contesté à ses débuts. D’accord avec Mauriac qui affirme que Pierre Benoit a créé « un monde fatal, écrasant et glacé, où le vouloir humain capitule, à chaque instant, devant les puissances de l’instinct », Maurice Reclus atteste qu’il est « par excellence le romancier du fatum ».
Quand Roland Dorgelès, à la mort de son ami, ferme les yeux, il « retrouve l’œil pétillant, la lèvre malicieuse, les joues gonflées d’une joie contenue » de Pierre Benoit qui savait comme personne entretenir les amitiés et que Jean Cocteau appelait souvent, dans ses lettres, « mon beau joli ».
Comment faire comprendre qui était ce poète voyageur, semblable à « ces gros chats douillets » qui, selon Paul Reboux, observent le monde avec l’air de dire : « Que vous êtes sots ! Que vous prenez mal la vie ! Combien vous avez tort de vous bousculer de la sorte ! Que ne m'imitez-vous ?... » A cela, Pierre Descaves répond : « Pierre Benoit ne se raconte pas, il se lit. »
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