La chair est triste hélas, Ovidie (2023)

Publié dans la collection "Fauteuse de trouble" en 2023 chez Julliard, le texte très engagé d'Ovidie est désormais accessible en poche chez Points. Dans La chair est triste hélas, Ovidie raconte avec une sincérité étonnante, sans négligence de style, son refus soudain des relations (hétéro)sexuelles. Plaçant son essai sous l'égide de Valerie Solanas, dont le Scum manifesto est resté dans les annales du féminisme radical, Ovidie nous dit toute sa déception et son dégoût des hommes.
Connue pour avoir, dans sa jeunesse, tourné dans des films pornographiques, elle explique ce qui l'a conduite, depuis quelques années, à s'extraire de toute relation sexuelle. L'absence de plaisir, le devoir de "faire semblant", celui aussi de souffrir pour être belle sont les fondements de la sexualité féminine hétérosexuelle. S'appuyant sur des exemples vécus, elle ne rejette pas gratuitement l'homme : le lecteur comprend très bien son cheminement et ne peut s'empêcher de trouver dans ce texte le souffle de la vérité.

"Avec cette grève du sexe et ce début de quarantaine, je ne peux m'empêcher d'interroger sur ma valeur sociale en tant que femme. Car ce qui détermine la cote d'une femme dans notre société, c'est sa baisabilité, effective ou symbolique. On croit que le rôle assigné aux femmes est d'abord de devenir mères. Puis de devenir des working mums accomplies."

Ovidie aborde un grand nombre de questions sur la femme, la société, la sexualité : par exemple,  il faut se vanter d'être très actif sexuellement, même si elle rappelle que les statistiques et l'abondance de pornographie ou de références sexuelles dans notre société est totalement contradictoire avec ce qui se passe vraiment dans la vie. Ne pas revendiquer tout fort qu'on fait l'amour tous les jours ou presque est un signe de faiblesse. Entamer une grève du sexe, donc, ne peut renvoyer une image valorisante, mais Ovidie va jusqu'au bout en écrivant ce pamphlet. Elle veut montrer que rien n'oblige, si tant est qu'on a du courage.
S'il y a des "mal baisées", ce n'est pas la faute des baisées, mais de ceux qui les baisent.

Alors, on se dit : "Pourquoi ne pas se tourner complètement vers les femmes?" À plusieurs reprises, Ovidie explique qu'elle n'a jamais ressenti de malaise ni de rapports de domination dans ses relations lesbiennes ; en revanche, elle ne sait pas pourquoi elle ne tombe pas vraiment amoureuse des femmes. Elle s'interroge beaucoup sur son identité et, malgré tout le contenu de ce manifeste, elle dit sincèrement qu'elle ne sait pas si elle restera abstinente toute sa vie. Mais elle se demande ce qu'elle recherche dans la relation, et elle donne quelques pistes dans les dernières pages du livre.
Ovidie renvoie l'image d'une femme blessée, mais forte, courageuse de dire ouvertement ce qu'elle pense des hommes et de leur manière d'utiliser les femmes pour leur plaisir.

On se demande tout de même, à la lecture, pourquoi les femmes s'infligent l'hétérosexualité... Par nature, sans doute... En creux, et sans que ce soit son message principal, Ovidie crée un manifeste lesbien. Sans idéaliser les relations entre femmes, elle donne à voir, comme a pu le faire il y a des années Monique Wittig avec La Pensée straight, ce qu'il y a de naturel et d'égalitaire à aimer les femmes... quand on est une femme.

Il faudrait lire et faire lire ce livre à toutes les hétérosexuelles... Au bout du compte, il restera deux sortes de femmes libres : les lesbiennes et les religieuses. À nous de choisir !

CM