Jean Teulé, L'Histoire du roi qui ne voulait pas mourir (2023)

« Heureusement, j’ai fini mon chapitre ! » Voilà l’ultima verba de Teulé l’écrivain, parti avec le sentiment du devoir accompli, d’une certaine forme de finitude, selon le souhait de tout humain consciencieux. En Quatre-vingt-deux pages et quinze chapitres, Jean Teulé nous donne une dernière fois à entrer dans son univers. Le roman est historique, comme la plupart des derniers, livrés à Julliard ou à Mialet Barrault. Après Le Montespan, Charly 9, Entrez dans la danse, Azincourt par temps de pluie, après les chefs-d’œuvre consacrés à Verlaine, à Villon et, dans une moindre mesure, à Baudelaire, Teulé raconte l’histoire de Louis XI, « l’universelle Aragne », deux ans avant sa mort. Les motifs chers à Teulé s’y retrouvent : les bains de sang de nourrissons, les exécutions cruelles, les maladies de peau, les hémorroïdes… mais, à la différence de certains romans qui exploitaient la chair et le pus presque gratuitement, il semble que les excès de Louis XI aient eu raison de la veine rabelaisienne de Teulé. Sa phrase est ample, de nouveau belle et travaillée, digne de ses meilleurs livres. Les premières pages, sur la chasse aux tortues, que le roi veut rapporter du Cap-Vert en France pour soigner sa peau malade, sont inattendues et magnifiques. Teulé tenait là un grand roman, bâti au cordeau, retenu, à la hauteur de son sujet, jamais complaisant ni détaché de son récit. On plonge, comme souvent dans cette vulgarisation de l’Histoire, dans l’anecdote, mais Teulé fait de chaque chapitre une scène efficace et aboutie : la nuit de noces avec Marguerite Stuart – lui 13, elle 11 ans –, la soirée incognito à l’auberge, la visite à ses geôles où croupissent, dans des fillettes de fer ou d’étroites logettes, les prisonniers d’État, son rêve d’un verger de pendus… tout cela rend compte de la cruauté de ce roi qui se voyait en bûcheron de la forêt France, toujours prêt à se débarrasser de la pire des manières des branches pourries. Le récit s’achève sur ces deux mots qui résument l’homme : « Être impitoyable ». Pour achever l’ouvrage, les éditeurs ont fait appel aux amis de Jean Teulé, qui racontent l’écrivain à leur manière, par des textes, des dessins, des photographies : Philippe Jaenada, Dominique Gelli, Florence Cestac, Enki Bilal, François Delbecque, Philippe Druillet. Le livre s’achève par un très beau texte de Benjamin Planchon, qui poursuit, sous forme d’un récit théâtralisé, l’histoire qu’avait commencée Jean Teulé, sous les yeux du fantôme géant et souriant de l’écrivain disparu. SM