"Toujours, imaginer sera plus grand que vivre." - Écrire est un roman, Irène Frain (2023)

"Toujours, imaginer sera plus grand que vivre."
Bachelard, cité en exergue

Dans Écrire est un roman, Irène Frain nous dévoile son rapport à l'écriture et à la lecture. Même s'il a animé récemment plusieurs ateliers d'écriture, le lecteur ne doit pas s'attendre à obtenir le mode d'emploi pour écrire un livre, comme on en trouve de plus en plus sur Internet ou dans les écoles américaines qui fabriquent des auteurs de romans à coups de storytellings. Irène Frain montre qu'écrivain est un état : ce n'est pas un métier, pas un passe-temps ; ça ne se décrète pas un beau matin. L'écrivain, depuis l'enfance, se raconte des histoires, voit le réel autrement ; il habite ses songes, passe, comme Alice, de l'autre côté du miroir. Il habite sa Maison-Écrire, dont les pièces recèlent des secrets qui n'en sont pas : il y a, par exemple, le grenier où s'entassent les souvenirs, ou une pièce où prennent naissance les personnages.
Irène Frain se moque, à juste titre, de tous ces petits secrets vendus sur Internet, tel que l'impératif de créer des fiches personnages, comme s'il y avait une recette pour écrire un roman. L'écrivain sait qu'il n'y en a pas, en dehors du travail et du style. Elle reprend la phrase de Stephen King qui pense, lui, que "le boss, dans un roman, c'est l'histoire" (ce que personnellement je ne crois pas, puisque parmi les plus grands livres, certains peuvent se résumer en une phrase).
Irène Frain met en lumière le pouvoir du narratif, en reprenant l'image de Shéhérazade, la jeune femme des Mille et une nuits qui gagne sa vie à raconter des histoires au Sultan psychopathe, assassin de ses épouses. Dire des histoires la sauve ; les écouter sauve aussi ce prince fou.
Irène Frain parle de la peur d'écrire et de se confronter à des souvenirs, des deuils, des tristesses. Elle dit aussi combien l'écrivain peut être vampirique, elle dit plutôt "anthropophagie", puisqu'il dévore ses modèles pour les utiliser dans ses romans :

"J'ai sûrement kidnappé plusieurs fois certains de mes semblables, afin de les transformer en héros de roman. J'en ai fait ma pâture. C'est à ce prix — un rapt suivi de pratiques anthropophagiques— qu'ils ont pu paraître vivants.
Je ne vois pas où est le mal. Pas un romancier qui ne se soit livré un jour ou l'autre à ces dévorations carnassières. Elles ne sont pas systématiques mais c'est un trait distinctif de notre tribu. Nos proies (...) sont de simples supports."

Le recours à l'étymologie pour expliquer les choses est passionnant. Par exemple, une histoire, c'est un témoignage : le sens de "histor", en grec ancien, c'est "témoin", et le premier auteur d'Histoires, c'est Hérodote.
Elle revient sur le pacte qui existe entre le lecteur et l'auteur, dans la partie "Croire, et faire croire", rappelant que tout être accepte d'entrer, en lisant, dans une autre dimension, pour un temps. Il accepte les règles de ce "métavers".

Écrire, c'est capturer les souvenirs, les graver, comme le dit l'étymologie du verbe. Et c'est pour cela que:

"Les livres ne meurent pas, on les referme. On les croit finis, ils ne sont qu'endormis. Il suffit d'un rien pour les réveiller."

Plus que des astuces d'écriture, Irène Frain nous raconte un parcours d'écrivain qui, depuis l'enfance, a su faire quelque chose de ses rêves.

Céline Maltère