« Écrire est le désir le plus haut, à l’instar de voler » , Psychopompe, Amélie Nothomb (2023)
Mer 23 Aoû - 9:05
« Psychopompe » est un mot qu’on associe le plus souvent au dieu Hermès. Il désigne celui qui accompagne les morts au sein de leur dernière demeure. Dans son dernier roman, Amélie Nothomb se livre comme jamais, convoquant, avec beaucoup de souffle, une étonnante poésie. Empruntant les codes du conte, elle dessine dès les premières pages l’image d’une femme oiseau qui, pour fournir à son époux ce qu’il y a en elle de plus précieux, s’arrache douloureusement les plumes, dans le secret d’une chambre à la Barbe bleue (2012). Si le secret se brise, adieu à la beauté… Dans Psychopompe, Amélie nous raconte son lien avec le beau, qui s’incarne dans les oiseaux, sa passion de toujours : le rouge-gorge, le merle, le rossignol, et surtout l’engoulevent oreillard en qui elle se reconnaît parce qu’il avale littéralement le vent et représente son rêve le plus cher — celui de voler. La nuit, la petite fille s’essaye à des départs, des envolées, mais elle doit se rendre à l’évidence : si elle veut devenir un oiseau, ce sera par un autre moyen… et le lecteur assiste à la naissance d’un écrivain. Par des mots justement choisis, Amélie fait leur éloge : les oiseaux, psychopompes en chef dans les mythologies, la conduisent à révéler ce qui la constitue, le plus intime en elle, son besoin d’écrire, qu’elle compare à un vol, une épreuve de force à renouveler chaque jour si on ne veut pas tomber :
« Écrire est le désir le plus haut, à l’instar de voler. »
Le lecteur assidu d’Amélie retrouve avec plaisir les références à ses autres livres, d’Hygiène de l’Assassin (1992) à Premier sang (2021), en passant par Le Sabotage amoureux (1993) ou encore Riquet à la Houppe (2016), livre où l’on rencontre l’ornithophile Déodat, son double. Dans une langue maîtrisée et très douce, elle nous offre des pages superbes sur ses liens avec les morts, en particulier sur la disparition récente de son père, dont elle parle avec une profonde tendresse. Amélie nous fait revivre ses années au Japon, ses séjours en Chine, à New York (Biographie de la Faim, 2004). Elle revient aussi sur un épisode fondateur : son agression au Bangladesh qui l’a tirée trop brutalement de l’enfance édénique : avant le crime, Amélie était un poisson. Exclue de l’élément aquatique, l’enfant bafoué cherche un salut. L’écriture aura cette vertu mais, jusque-là, la route est longue… Écrire est pour elle un dialogue continu, avec elle-même, avec les autres, avec ses morts. Psychopompe joue merveilleusement son rôle en nous faisant vivre un vol de haute altitude.
Editions Albin Michel, 23 août 2023.« Écrire est le désir le plus haut, à l’instar de voler. »
Le lecteur assidu d’Amélie retrouve avec plaisir les références à ses autres livres, d’Hygiène de l’Assassin (1992) à Premier sang (2021), en passant par Le Sabotage amoureux (1993) ou encore Riquet à la Houppe (2016), livre où l’on rencontre l’ornithophile Déodat, son double. Dans une langue maîtrisée et très douce, elle nous offre des pages superbes sur ses liens avec les morts, en particulier sur la disparition récente de son père, dont elle parle avec une profonde tendresse. Amélie nous fait revivre ses années au Japon, ses séjours en Chine, à New York (Biographie de la Faim, 2004). Elle revient aussi sur un épisode fondateur : son agression au Bangladesh qui l’a tirée trop brutalement de l’enfance édénique : avant le crime, Amélie était un poisson. Exclue de l’élément aquatique, l’enfant bafoué cherche un salut. L’écriture aura cette vertu mais, jusque-là, la route est longue… Écrire est pour elle un dialogue continu, avec elle-même, avec les autres, avec ses morts. Psychopompe joue merveilleusement son rôle en nous faisant vivre un vol de haute altitude.
Article à paraître dans Littératures & Cie numéro 4.
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