Le Manoir des lettres
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Traces, Niki de Saint Phalle (2023) Empty Traces, Niki de Saint Phalle (2023)

Sam 18 Nov - 9:39
Traces, Niki de Saint Phalle (2023) 40011110

Après un moment d'insomnie où je désespérais de pouvoir me rendormir, un rêve des plus réconfortants m'a plongée dans un sommeil sans nuage.
Je conduisais au hasard des petites routes de campagne qui s'ouvraient devant moi, lorsqu'une pancarte signalant un lieu accueillant du public me fit me garer sur le parking attenant. Dans les prés gambadaient des animaux étranges, sortis tout droit d'un album pour enfants, de gentils monstres, mais aussi des sangliers, chevaux, poneys, un couple d'êtres humains difformes, de ceux que l'on montrait jadis sur les foires.
Ces "animaux" s'ébattaient joyeusement, on les sentait heureux et en sécurité. Des badauds comme moi, commençaient à se presser le long des rambardes, émerveillés par les tours de passe-passe, les cabrioles des animaux. Il y avait une ambiance d' émission télévisée du style de l'Ile aux enfants. Casimir n'était pas au rendez-vous, il n'aurait pas dépareillé au milieu de cet étrange bestiaire.
Une femme s'avança et l'on sut d'emblée qu' elle était la domptrice et la directrice de ce cirque en plein air. À sa vue, des larmes de reconnaissance commencèrent à embuer mon regard, je la remerciais en silence de son initiative de créer du bonheur autour d'elle, et de la paix, et de la joie.
En me réveillant, je fis tout de suite le lien avec l'autobiographie de Niki de Saint Phalle qui vient de reparaître dans la collection L'Imaginaire Gallimard en Hors-Série, dont je venais de finir la lecture la veille au soir.
Niki de Saint Phalle avait 69 ans lorsque parut Traces. Cinq ans avant, elle révélait dans Mon secret avoir été victime d'inceste, enfant. Dans Traces, ce fait est évoqué brièvement en exergue, et seulement pour dire que l'écriture de cette autobiographie lui a permis de tourner la page. Ensuite, dans tout le corps du texte, nulle trace de cet événement, ou plutôt des traces, si imperceptibles que sans cet aparté en début de texte, je ne l'aurais jamais soupçonné.
La décision de ne plus revenir sur ces actes semble irrévocable. Niki de Saint Phalle déroule donc l'histoire de sa vie, ses parents frères et sœurs, sa double culture, américaine et française, le milieu aristocratique dans lequel elle a baigné qui était celui de son père, une éducation stricte et les manières de la grande bourgeoisie côté maternel.
Rien ne signale plus ces actes incestueux subits à l'âge de onze ans.
Mais ce qui frappe d'emblée en ouvrant ce livre, c'est la manière dont le texte se présente. On dirait un journal d'enfant ; le texte tapuscrit est entrecoupé de textes manuscrits, ornementés de lettrines fantaisistes, de dessins enfantins colorés, apposés autour du texte comme des stickers, exactement comme l'aurait fait une enfant de dix ans avec son journal intime.
Le ton employé est résolument simpliste, simplificateur, sans nuance, sans arrière-plans, on dirait là aussi une enfant qui raconte son histoire, alors que Niki de Saint Phalle frôlait les 70 ans.
C'est comme si le trauma avait laissé des traces telles que la meilleure façon de s'en sortir, était d'aller puiser dans l'énergie, la virginité, l'enthousiasme de l'enfant qu'elle avait été avant la date fatidique.
Ses sculptures représentant des femmes aux proportions généreuses, joyeuses, dansantes, ces fameuses Nanas, à la lumière de ce constat, se voient auréolées d'une dimension supplémentaire: celle de la décision de choisir la lumière plutôt que les ténèbres, d'aller puiser sa force de vie dans le magma bouillonnant de l'enfance, qui donne un aspect naïf et primitif à son art, de célébrer la vie, malgré tout.
La domptrice d'animaux fabuleux de mon rêve , c'était elle, qui me montrait le chemin d'une vie où les contraintes sont contournées à un point tel qu'elles s'en trouvent annulées par la force de vie qui les efface.
Le message était vertigineux.
Encore une fois, l'art venait à la rescousse, prenait les rênes, triomphait, dans une célébration toute dionysiaque de la vie.

CR ·


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