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Ma vie avec Colette, Pauline Dreyfus (2023) Empty Ma vie avec Colette, Pauline Dreyfus (2023)

Mar 23 Mai - 8:13
Ma vie avec Colette, Pauline Dreyfus (2023) 20230515


Dans la collection "Ma vie avec" chez Gallimard, Pauline Dreyfus retrace, à travers différentes thématiques, la vie de l'auteur née il y a 150 ans. Elle se raconte aussi, gardant cependant une place de second plan, ce qui n'est pas forcément une chose aisée pour un écrivain. Comment parler d'un auteur qui vous a marqué, sans se mettre en avant et en conservant aussi des nuances pour ne pas tomber dans le panégyrique ? Parler de soi en parlant de l'autre, ce monument littéraire, Colette, devenue un mythe ? C'est ce que fait Pauline Dreyfus, remarquée particulièrement pour son livre sur Paul Morand en 2020, en écrivant cette biographie parcellaire et en puisant dans la vie de Colette ce qui l'a accompagnée, frappée, construite.

D'abord, elle raconte le rapport que chacun peut avoir avec sa maison d'enfance, l'importance que l'endroit aura plus tard sur sa vie, jusqu'au jour où l'on devra y renoncer ("Habiter, et ne plus habiter"). Elle y parle bien sûr de la maison de Saint-Sauveur-en-Puisaye, cette demeure fondatrice de la vie et de l’œuvre de Colette, avec tout ce qu'elle a de mythique désormais, comme sa glycine. Ensuite, elle nous amène, avec le verbe "Aimer", sur le thème de la vie amoureuse et mouvementée de Colette, de Willy à Goudeket, ses premier et dernier maris, en passant par les Jouvenel et Missy ; puis, il est question de l'écriture, des animaux... pour finir avec les rapports mère-fille et la vieillesse.
Pauline Dreyfus souligne ses points communs avec l'écrivaine et, dans un dernier et mélancolique chapitre, elle explique qu'elle est désormais plus proche du personnage Léa de Lonval (Chéri) que de celui de Claudine (rencontrée dans sa jeunesse, comme beaucoup de petites filles), guettant les traces de la vieillesse, terminant avec une réflexion personnelle sur le souvenir alors qu'elle est la seule de sa famille à venir se recueillir sur la tombe de ses grands-parents, à la Toussaint 2022, lorsqu'elle arrive au bout de l'écriture de ce livre.

On aime la manière limpide dont Pauline Dreyfus nous fait parcourir, comme dans une anthologie, la vie de Colette, ainsi que les nuances qu'elle apporte en montrant bien la différence entre la femme et l'écrivaine, la distance qu'il peut y avoir parfois entre les deux. Elle écrit même que connaître la vie de l'auteur peut parfois l'éloigner d'elle, en qui elle ne se reconnaît pas toujours. Elle nous rappelle aussi que Sido, la mère de Colette, est un personnage de roman que l'écrivaine réinvente aux moments-clefs de sa vie (Pauline Dreyfus fait un parallèle entre l'écriture des trois romans sur sa mère [La Maison de Claudine, La Naissance du jour et Sido] et des périodes amoureuses difficiles...) En revanche, on aime moins, sans pourtant être adeptes du politiquement correct, qu'un adjectif comme "pathétique" accompagne la description faite de Missy, l'amante de Colette, dans laquelle on discerne un certain mépris inexplicable... ou quelques phrases un peu "réac" (genre "droite légèrement coincée") qui n'apportent rien au récit et ont tendance à sortir le lecteur de la narration ("Écrire, c'est réécrire, et ses manuscrits étaient plus tatoués que les bras des jeunes d'aujourd'hui", "elle est la richissime et pathétique fille du duc de Morny (...) Missy est tout sauf séduisante, avec sa carrure hommasse"... etc). On revendique, contrairement à l'auteur du livre, que Colette puisse être une "écrivaine", car le masculin de ce mot n'a pas plus de légitimé que la féminisation du bas latin "scribanus" et n'a rien d'aberrant étymologiquement, contrairement à un "auteur" avec un "e".

Cela dit, Ma vie avec Colette est un livre bien écrit et bien mené, et l'entreprise n'était pas facile. La particularité du style de Colette est mise en valeur. Comme Pauline Dreyfus l'écrit, un texte de Colette est reconnaissable à la lecture de seulement quelques lignes :

"Colette sort des cavernes pour bon nombre de nos contemporains. Ses livres s'apparentent à une leçon de style et de  couleurs, très loin de l'écriture blanche en vogue ces dernières années. Colette n'est pas une femme, elle est un dictionnaire ; elle n'est pas une romancière ou une mémorialiste, elle est une poétesse. Et, à ce titre, elle nous fait voir le monde avec des yeux neufs."

L'écriture, la vie... Voici un autre passage intéressant, où Pauline Dreyfus fusionne poétiquement, formellement avec son sujet :

""Je ne peux pas m'intéresser à ce qui n'est pas la vie", confessait Colette. (...) La vie, c'est ce qui se mange, ce qui se respire, ce qui se contemple. C'est la salade qui pousse, la rose qui fane, le chien qui aboie à l'approche de l'orage. C'est le ruban des saisons avec sa préférée, l'automne, quand les "pêches mûres tombaient, et les sauges rouges étiraient leurs épis, et l'aigre raisin opaque tournait à l'agate transparente..." C'est l'élan qui pousse les êtres les uns vers les autres, ou les éloigne parfois. C'est le désir, qui va et qui vient. C'est aussi le corps, malmené puis saccagé par les années. La vie, c'est la tyrannie du temps qui passe."

De très jolis mots qui nous conduisent à une phrase de conclusion de la même veine :

"Le temps passe et, à moins d'avoir le goût du malheur, il nous oblige à consentir à tout, y compris au sort fragile des paradis."

Souvenons-nous, à chaque instant, de les chérir.
CM

Cécile R aime ce message

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