Le Manoir des lettres
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De l'attente Empty De l'attente

Dim 26 Juin - 18:48
De l'attente 20220610




De l'attente, on connait la célèbre phrase de Breton. De très belles pages sur ses effets se trouvent dans Métamorphoses d'un mariage de Sandor Marai. Ilonka sait que son mari est amoureux d'une autre qui a disparu et dont l'absence le désespère : il l'attend.
Ilonka a observé son époux, elle l'a vu en attendre une autre comme elle l'attendra elle-même deux ans plus tard, après leur divorce. Elle décrit les comportements, les sensations dans lesquelles nous place l'attente et elle dit aussi ce qu'on éprouve après l'attente qui finit, pour elle,  un jour.
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De l'attente


"Mais  en tout cas, je ne savais pas qu'on pouvait attendre comme un condamné aux travaux forcés, attendre avec une telle intensité, méthodiquement, résolument, désespérément. À ce stade, je ne pouvais plus rien pour lui... En fait — je le dirai peut-être sur mon lit de mort, lors de ma dernière confession —, je n'ai même pas voulu l'aider. Mon cœur était rempli d'amertume... je n'espérais plus rien. J'ai assisté pendant deux longues années à ses efforts monstrueux, à son face-à-face muet, courtois, souriant, avec quelqu'un ou quelque chose... Je revois encore le geste avec lequel, tous les matins, il prenait son courrier, comme un toxicomane étendant son bras pour saisir une fiole et le laissant retomber après avoir constaté qu'elle était vide. Ah, ce mouvement de la tête chaque fois que le téléphone sonnait! Cette contraction des épaules quand on frappait à la porte! Ces regards circulaires dans les restaurants ou les halls de théâtres, ces yeux scrutant tout l'espace à la recherche d'un objet perdu! "
"En apprenant qu'elle avait quitté la ville pour s'établir en Angleterre, sans laisser d'adresse, mon mari était tombé littéralement malade — oui, malade d'une attente qui représente peut-être la plus vive des souffrances. Je connais bien ce sentiment. Après notre divorce, c'est moi qui l'ai attendu ainsi, un an peut-être, avec cette folle anxiété. On se réveille en pleine nuit, on court, tel un asthmatique, après sa respiration, on cherche une main dans l'obscurité... car on refuse de comprendre que l'autre n'est plus là... qu'il n'est plus à notre portée... qu'il ne se trouve ni dans l'immeuble d'à côté, ni dans la rue voisine... que nous ne pouvons plus le rencontrer dans la rue. Alors, le téléphone n'a plus de sens, les journaux ne publient plus que des informations sans intérêt, comme le début d'une nouvelle guerre mondiale ou la destruction d'une capitale étrangère d'un million d'habitants. On fait semblant de s'y intéresser, par politesse. Vraiment? Comme c'est curieux. C'est vraiment désolant... dit-on, sur un ton distrait, sans éprouver la moindre émotion. (...) J'ai lu que l'état de l'amoureux frustré, plongé dans une interminable attente, était voisin de l'hypnose. Son regard langoureux, la lourdeur de ses paupières ont la morbidité de celui qui s'éveille d'un long sommeil, obsédé par un visage ou par un nom."

"Il arrive un jour dans la vie où l'attente doit être relayée par des actes."

"Et moi, je te l'ai dit, j'espérais.
L'espoir, c'est aussi la peur que nous inspire un désir... un désir que nous craignons de ne pouvoir assouvir."
La fin de l'attente

"Un jour, pourtant, le malade finit par se réveiller vraiment.
Tout comme moi.
Il regarde autour de lui, il se frotte les yeux, il ne distingue plus ce fameux visage — ou, plus exactement, il le voit flou... mais il perçoit un clocher, une forêt, une image, un livre, l'infinie richesse du monde. Étrange sensation : ce qui te semblait hier insupportable ne l'est plus... la blessure qui te faisait atrocement souffrir est devenue insensible. Tu es à nouveau calme, tu penses (...) à toutes ces réalités qui reprennent soudain leur importance. La veille, tout cela était encore dépourvu de sens, la réalité était ailleurs... la veille, tu voulais te venger ou mettre fin à tes souffrances, tu aurais voulu qu'il téléphone, qu'il ait besoin de toi, qu'on le jette en prison, qu'on l'exécute, que sais-je? tout en sachant bien qu'en te torturant de cette façon, tu procures à l'autre la plus grande satisfaction... celle de régner sur toi. Oui, tant que tu cries vengeance, l'autre se frotte les mains, parce que la vengeance vient du désir, parce que la vengeance te tient en esclavage. Mais il arrive un jour où,  en te réveillant, en te frottant les yeux, en bâillant, tu t'aperçois que tu ne veux plus rien... que ton coeur ne battrait pas plus fort si tu le croisais dans la rue. Quand il téléphone, tu lui réponds poliment... Il veut absolument te voir? Pourquoi pas? Tu es décontractée, tu ne ressens plus aucune douleur... la transe n'est plus de mise. Que s'est-il donc passé? Un tel changement te laisse perplexe. Tu ne veux plus te venger... car tu as compris que la véritable vengeance consiste à ne plus rien attendre de lui... à ne plus rien souhaiter pour lui. Il n'est plus en mesure de te faire du mal. Autrefois, un homme arrivé à ce stade écrivait une lettre à la femme qu'il avait cessé d'aimer, en l'apostrophant d'un "Très chère Amie", riche de sous-entendus mais signifiant avant tout : "Tu ne peux plus me faire souffrir." La destinataire, si elle était intelligente, éclatait alors en sanglots. Ou peut-être pas. Le moment était venu de lui adresser un cadeau somptueux — un bouquet de roses ou une pension alimentaire... peu importe, puisque cela ne fait plus mal..."
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Pour Ilonka, l'attente prend fin un matin... mais pour d'autres, elle dure toujours. Dans Consoler Schubert, Sandrine Willems raconte l'histoire vraie de sa grand-mère qui a attendu en vain l'homme aimé toute sa vie.


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Pour ne pas réécrire ce que j'ai déjà inscrit dans le Dictionnaire amoureux de la Quarantaine, dont le sous-titre est "Poétique de l'attente" ("De exspectationis poetice"), je copierai ici l'article qui porte son nom et qui cite l'écrivain surréaliste, Proust, Beckett ou encore Marceline Desbordes-Valmore, même si le livre entier est dédié à ce thème.


Attente
du latin tendere, « tendre », et ad-, « vers ».
Étymologie abusive :
– du latin atemptare, « tendre vers », « attaquer ».


« C’est que le violon était monté à des notes hautes où il restait comme pour une attente, une attente qui se prolongeait sans qu’il cessât de les tenir, dans l’exaltation où il était d’apercevoir déjà l’objet de son attente qui s’approchait, et avec un effort désespéré pour tâcher de durer jusqu’à son arrivée, de l’accueillir avant d’expirer, de lui maintenir encore un moment de toutes ses dernières forces le chemin ouvert. » (« Un amour de Swann », Proust)


Depuis le 13 novembre, j’attends. L’attente est le sceau de notre rencontre.
Je renie ce que j’ai aimé, cette phrase portée aux nues dont faiblit la beauté :


« Indépendamment de ce qui arrive, n’arrive pas, c’est l’attente qui est magnifique. » (A. Breton)


Phrase d’un orgueilleux à qui rien ne résiste, phrase d’un homme pour qui l’espoir n’est pas perdu. Le vernis de la littérature se craquelle à votre contact. Je ne porte aucun masque.
L’attente n’a rien de magnifique sauf si elle se couronne. C’est un attentat perpétuel, le scrupule, l’épine au doigt, qui poussent à vous imaginer ailleurs depuis longtemps. Le 13 novembre en est aussi la date anniversaire — ne pas tomber amoureux aux jours commémoriels… C’est la condamnation d’un innocent qui tend le cou vers la lucarne et croit voir dans les éphémères le vol des ptérosaures : « Tranchez ! ».
Penser à vous devait conduire à une poétique de l’attente. Mars, avril, mai… Les mois durent une année. — Une terreur ! « après votre voyage… », de janvier à mai, un gouffre, le monde s’écroule ! Vous songiez à ma quarantaine, fée qui sait arrêter l’univers pour son bien. Tout se réalise, sauf mes rêves. Vous êtes le visage de l’attente. Je vous attends, je vous ai toujours attendue, les yeux bandés, jetant des mots pour rien dans le ventre vide des pitons. La Hanoukkia était le premier poème de l’attente, puis les tablettes de février se sont gravées sur votre absence. Écrire pour empêcher que les jours ne vous éloignent… La nuit, vous faire des lettres, vous penser et vous faire surgir… Des litanies et des neuvaines… Passer, à votre insu, tout mon temps avec vous... Tuer l’angoisse et l’incertitude, imaginer et vous étreindre, des baisers inventés… L’attente croît comme une hydre, treizième travail d’Hercule qui l’aurait voué à l’échec. Quels rêveurs, quels idéalistes triompheraient de l’attente ? Ce dictionnaire en est le paroxysme : après lui et sans vous, je ne saurai plus rien faire, tout vocable sera mis à l’index.


« Oui, dans cette immense confusion, une seule chose est claire. Nous attendons Godot à venir. Nous ne sommes pas des saints, mais nous avons gardé notre rendez-vous. » (En attendant Godot, S. Beckett)


Scio quod exspecto, je sais ce que j’attends, quam excupio, qui je désire.


« Je tressaille, j’écoute… et j’espère immobile ;
Et l’on dirait que Dieu touche un roseau débile ;
Et moi, tout me répond : Dieu ! faites-la venir ! » (« L’attente », M. Desbordes-Valmore, modifié)


Et si l’attente était l’épreuve à traverser ? Si l’attente était juste une preuve ?...
L’attente de vous est sans délai. J’attendrai et j’attends, dans toutes les langues et en latin. Ad libitum, ad vitam aeternam.


De l'attente 20220611


Céline Maltère






Dernière édition par Le Manoir le Sam 2 Déc - 9:15, édité 1 fois

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Sam 18 Nov - 9:31
"Pour aimer, voici que tous les mots me reviennent tout à coup... pour garder en soi la place d'une attente, on ne sait jamais, de l'attente d'un amour, d'un amour sans encore personne peut-être, mais de cela et seulement de cela, de l'amour. Je voulais vous dire que vous étiez cette attente. Vous êtes devenu à vous seul la face extérieure de ma vie, celle que je ne vois jamais, et vous resterez ainsi dans l'état de cet inconnu de moi que vous êtes devenue, cela jusqu'à ma mort. Ne me répondez jamais. Ne gardez aucun espoir de me voir, je vous en prie. Emily. L. "
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"L'Attente", Carpaccio

Citation de Marguerite Duras, Emily L.

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