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La Planète des poupées, Christine Renard (1972) Empty La Planète des poupées, Christine Renard (1972)

Jeu 11 Mai - 18:59
La Planète des poupées, Christine Renard (1972) 20230513


Un groupe de Terriens, dont fait partie la narratrice, débarquent sur la planète Margaretta, jadis conquise par des colons de la Terre. Depuis, les Margarettiens ont fondé leur propre cité, et leurs mœurs, éloignées de celles des colons d'autrefois, semblent très étranges aux nouveaux arrivants. En effet, ils remarquent la présence de statues, qu'ils prennent au premier abord pour des femmes... Qui sont-elles ? Que font-elles dans les jardins, surveillées par des gardes, non loin d'un Monastère qui surplombe la ville Méditerranée ?

La narratrice est une psychologue de vingt-cinq ans venue en mission. Elle a pour collègues, entre autres, un géologue, un mécanicien, une biologiste. Bien que le temps soit distendu entre la Terre et Margaretta et qu'ils sachent qu'une fois rentrés, cinq cents ans seront passés, ils ont accepté ce voyage. Les hommes de l'équipage sont intrigués par les statues si belles, si attirantes, dont ils voudraient bien percer le mystère, en particulier Valentin, le sociologue terrien, qui en approche une d'un peu trop près...
De son côté, la narratrice fait la connaissance de plusieurs femmes de la cité, et elle se rend compte que les coutumes, sur cette planète, sont bizarres, voire rétrogrades : les femmes sont vouées au mariage. Elles sont destinées à s'occuper des enfants et de la maison. Et les hommes ? Les hommes sont des êtres aux besoins sexuels démesurés, qu'ils assouvissent dans les liens du mariage, mais sans importuner leur femme : en effet, chaque femme fait faire sa statue quand elle a quinze ans. Elle l'expose jusqu'à ce qu'un homme lui en demande la clef. À partir de là, cet homme s'engage à l'épouser et, en contrepartie, il peut coucher autant qu'il veut avec... sa statue ! Il l'échange même avec celles qui appartiennent aux autres hommes, et il peut avoir des relations sexuelles à volonté, même si c'est avec une sœur, une mère, puisque ces statues abolissent tout tabou.
Un jour, Valentin est retrouvé assassiné alors qu'il avait emprunté la statue de Vanille, une jeune femme que personne ne voulait épouser, tout comme sa sœur Amande. À partir de là, le récit emprunte la voie du mystère policier. Qui a tué Valentin? Qui a éventré la statue à ses côtés?

La planète des poupées est un roman de science-fiction original, qui aborde le thème de la différence entre les sexes, du mariage, du rôle de la femme. Il nous dépeint des femmes heureuses de leur sort, conditionnées à être des épouses qu'on exempte, par bienveillance, des étreintes avec leurs époux. Pourquoi préfèrent-ils coucher avec les statues? Parce qu'elles acceptent tout, sont inlassables et surtout, elles ne vieillissent pas. Même quand l'épouse sera flétrie, l'homme pourra toujours se satisfaire avec sa statue :

"Rendez-vous compte comme c'est merveilleux pour une vieille femme de se voir toujours belle, toujours jeune, et de savoir que vous inspirez encore du désir autant que cinquante ans avant."

Cette société profondément misogyne est conçue pour le bien-être et le plaisir des hommes dont le désir n'est motivé que par la jeunesse et la beauté ; les femmes se disent heureuses parce qu'on leur a appris que les relations sexuelles avec leur mari sont une corvée. Elles ont intégré leur rôle :

"Comme je me taisais, elle insista.
— Ce n'est pas comme ça sur la Terre ? Vous avez tort. C'est affreux ; vous, les femmes, êtes obligées de vous plier aux désirs incontrôlables des hommes. La vie conjugale doit être un enfer."


On pourrait croire à un discours wittigien, qui pousserait les femmes à sortir de l'hétérosexualité ! La lectrice se réjouit ! La lectrice se dit : c'est un plaidoyer pour le lesbianisme !... La lectrice s'emballe... Eh non... même si la narratrice terrienne pousse aussi à se poser la question : elle se décrit comme une femme qui ne plaît pas aux hommes, qui se trouve laide et qui dit que son intelligence ne lui sert à rien pour séduire (une façon de dire, en miroir, qu'elle n'aime pas les hommes ?) On pressent qu'elle est peut-être attirée par les femmes. Le sujet est d'ailleurs étonnamment présent dans sa bouche p 139 :

"J'aurais eu encore bien d'autres questions à poser, notamment sur l'homosexualité féminine et les statues. Mais je n'ai pas osé aborder ce sujet, parce que quand même..."


"Quand même" ? On se demande si c'est pour ne pas choquer le lecteur (masculin de science-fiction?) des années 70... ou si elle n'ose poser la question pour elle-même... L'auteur n'assume peut-être pas d'aller dans cette direction. Les choses se confirment quand Valentin lui dit dans une lettre qu'il sait qu'elle aime les femmes, même si elle ne l'assumera jamais durant le récit et dira régulièrement qu'elle est éperdument amoureuse d'un tel ou d'un tel... Difficile à comprendre... Les pistes se brouillent encore à la fin, quand elle a une relation ambiguë avec Amande... mais quel dommage que ce ne soit pas exploité et que cela reste à l'état d'allusions... Le récit aurait pris un tout autre relief et aurait rendu la rébellion de la narratrice (car elle va se rebeller contre le système du mariage et des statues) plus forte et plus intéressante. On a du mal à la cerner, mais pas pour le meilleur car cela enlève de la force à son combat.

La réflexion sur les mœurs d'une société, le formatage des individus, est bien vue, la question de la liberté que celui venu d'ailleurs veut imposer à l'autochtone aussi... Qui est rétrograde ? Qui a raison ? Où est le vrai?
On apprécie que le roman ne se termine pas dans un banal happy end, et qu'il laisse les choses dans un entre-deux qui pousse à s'interroger.
Un drôle de livre de SF à découvrir (réédité par les éditions de L'Apprentie en 2022).

La Planète des poupées, Christine Renard (1972) Sans_t11
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