"Lui libre, elle prisonnière", Soumise, Christine Orban (2023)
Mar 14 Fév - 9:19
Soumise est une histoire d'amour.... entre un frère et une sœur : Blaise Pascal, l'inventeur, philosophe, mathématicien, et sa cadette. Comme Christine Orban sait le faire, elle met en lumière une femme, ici Jacqueline Pascal, enfant précoce et talentueuse, petit singe savant, poétesse qui récite des vers à la cour devant Anne d'Autriche, l'épouse de Louis XIII, alors qu'elle n'a que treize ans. Jacqueline n'a laissé presque aucune trace dans l'histoire, effacée par sa condition de femme (à laquelle pourtant elle est parvenue à se soustraire en refusant le mariage, qu'elle exécrait autant que l'exécrait son frère), malgré son esprit vif et très enclin à la littérature.
Blaise et Jacqueline ont une relation fusionnelle. Orphelins de mère (elle est morte cinq mois après la naissance de Jacqueline, quand Blaise avait trois ans), ils grandissent ensemble. Le jeune garçon, très précoce aussi, est la fierté de son père qui ne délaisse par pour autant ses filles Gilberte et Jacqueline auxquelles il a donné une instruction et une liberté qu'on n'offre pas aux filles habituellement.
On découvre un Blaise Pascal souffreteux, toujours malade, soigné par sa chère sœur qui ne le quitte jamais. Il l'aime tellement qu'il lui écrit un jour son désir d'alliance avec elle (Christine Orban nous dit d'ailleurs que la nature de leur relation est difficilement définissable).
La vie de la tendre Jacqueline bascule à treize ans : la petite vérole manque de l'emporter, mais elle s'en sort, le visage grêlé et plus forte, plus proche de Dieu qui l'a sauvée. Cette jeune fille cultivera la vertu, la sagesse, se rapprochant de plus en plus des jansénistes et de Port-Royal, souhaitant devenir religieuse et se retirer du monde.
Le frère dépend terriblement de la sœur : la voir le quitter pour partir au couvent est pour lui un effondrement. On sent la force de cette femme, qui renonce à tout, ses talents, sa famille, pour se consacrer absolument à Dieu. En fond, on assiste à la naissance de Louis XIV, à la Fronde, à l'invention de la pascaline, et aussi à l'anéantissement du jansénisme par les jésuites, le pape et le roi qui seront à l'origine de la mort des deux grands esprits Pascal.
Le livre de Christine Orban n'est pas un roman biographique, pas un essai non plus, mais une mise en forme de ses recherches et lectures, qu'on imagine très fouillées, pour narrer l'histoire d'une famille peu commune, celle des Pascal, famille ruche de Clermont, où les trois enfants ont été élevés dans le goût du savoir.
"Soumise", le titre, est un mot qui revient plusieurs fois dans le livre. Jacqueline est pourtant une rebelle, une femme d'apparence fragile mais de caractère : elle s'oppose, elle se révolte contre sa condition, contre les hommes (elle s'éprend d'Isaac de Bensérade, mais son coup de foudre pour le poète est source d'humiliation et l'éloignera à tout jamais des sentiments amoureux) ; quand elle se soumet, c'est parce qu'elle l'a décidé. Soumise à son frère dont elle se fait l'infirmière, soumise à Dieu, surtout, à qui elle offre volontairement sa vie (contre l'avis de son père et de ses proches). Ses résolutions, son abnégation, ses renoncements, son silence et ses entêtements rendent le lecteur admiratif. Elle semble plus rigoureuse que le premier des rigoristes, sa douceur enlevée en même temps que sa beauté par la maladie.
Dans les derniers moments de sa vie, au moment où Louis XIV veut faire tomber le jansénisme en faisant signer le Formulaire à ses adeptes (profession de foi que doivent signer les ecclésiastiques), elle ose écrire :
"Puisque les évêques ont des courages de filles, les filles doivent avoir des courages d'évêques."
Le plus soumis, c'est finalement son frère Blaise Pascal, qui devra accepter ce qu'il refusait, tout homme qu'il est : la perte et l'éloignement de sa sœur. C'est lui qui cèdera, viendra la voir au parloir du couvent et luttera de façon virulente pour défendre la cause religieuse qu'elle a choisie. On le sent flexible, ses entêtements sont moindres que ceux de sa sœur dans ce portrait croisé très touchant, qui laisse tout de même un goût amer :
"Lui s'éteint torturé, elle solitaire ou presque.
Lui libre, elle prisonnière.
Lui à Paris, elle à Port-Royal des Champs.
Lui dans la lumière, elle dans l'ombre.
Lui laissant la trace de son génie, elle une promesse.
(...)
Le monde avait perdu un génie et une inconnue."
Christine Orban réussit encore une fois brillamment un portrait de femme, comme elle l'avait fait pour Marie-Antoinette (Charmer, s'égarer et mourir), Joséphine de Beauharnais et sa répudiation (Quel effet bizarre faites-vous sur mon cœur) , Virginia Woolf et Vita Sackville-West (Virginia et Vita). On l'aime énormément dans ce registre : vivement le prochain !
Blaise et Jacqueline ont une relation fusionnelle. Orphelins de mère (elle est morte cinq mois après la naissance de Jacqueline, quand Blaise avait trois ans), ils grandissent ensemble. Le jeune garçon, très précoce aussi, est la fierté de son père qui ne délaisse par pour autant ses filles Gilberte et Jacqueline auxquelles il a donné une instruction et une liberté qu'on n'offre pas aux filles habituellement.
On découvre un Blaise Pascal souffreteux, toujours malade, soigné par sa chère sœur qui ne le quitte jamais. Il l'aime tellement qu'il lui écrit un jour son désir d'alliance avec elle (Christine Orban nous dit d'ailleurs que la nature de leur relation est difficilement définissable).
La vie de la tendre Jacqueline bascule à treize ans : la petite vérole manque de l'emporter, mais elle s'en sort, le visage grêlé et plus forte, plus proche de Dieu qui l'a sauvée. Cette jeune fille cultivera la vertu, la sagesse, se rapprochant de plus en plus des jansénistes et de Port-Royal, souhaitant devenir religieuse et se retirer du monde.
Le frère dépend terriblement de la sœur : la voir le quitter pour partir au couvent est pour lui un effondrement. On sent la force de cette femme, qui renonce à tout, ses talents, sa famille, pour se consacrer absolument à Dieu. En fond, on assiste à la naissance de Louis XIV, à la Fronde, à l'invention de la pascaline, et aussi à l'anéantissement du jansénisme par les jésuites, le pape et le roi qui seront à l'origine de la mort des deux grands esprits Pascal.
Le livre de Christine Orban n'est pas un roman biographique, pas un essai non plus, mais une mise en forme de ses recherches et lectures, qu'on imagine très fouillées, pour narrer l'histoire d'une famille peu commune, celle des Pascal, famille ruche de Clermont, où les trois enfants ont été élevés dans le goût du savoir.
"Soumise", le titre, est un mot qui revient plusieurs fois dans le livre. Jacqueline est pourtant une rebelle, une femme d'apparence fragile mais de caractère : elle s'oppose, elle se révolte contre sa condition, contre les hommes (elle s'éprend d'Isaac de Bensérade, mais son coup de foudre pour le poète est source d'humiliation et l'éloignera à tout jamais des sentiments amoureux) ; quand elle se soumet, c'est parce qu'elle l'a décidé. Soumise à son frère dont elle se fait l'infirmière, soumise à Dieu, surtout, à qui elle offre volontairement sa vie (contre l'avis de son père et de ses proches). Ses résolutions, son abnégation, ses renoncements, son silence et ses entêtements rendent le lecteur admiratif. Elle semble plus rigoureuse que le premier des rigoristes, sa douceur enlevée en même temps que sa beauté par la maladie.
Dans les derniers moments de sa vie, au moment où Louis XIV veut faire tomber le jansénisme en faisant signer le Formulaire à ses adeptes (profession de foi que doivent signer les ecclésiastiques), elle ose écrire :
"Puisque les évêques ont des courages de filles, les filles doivent avoir des courages d'évêques."
Le plus soumis, c'est finalement son frère Blaise Pascal, qui devra accepter ce qu'il refusait, tout homme qu'il est : la perte et l'éloignement de sa sœur. C'est lui qui cèdera, viendra la voir au parloir du couvent et luttera de façon virulente pour défendre la cause religieuse qu'elle a choisie. On le sent flexible, ses entêtements sont moindres que ceux de sa sœur dans ce portrait croisé très touchant, qui laisse tout de même un goût amer :
"Lui s'éteint torturé, elle solitaire ou presque.
Lui libre, elle prisonnière.
Lui à Paris, elle à Port-Royal des Champs.
Lui dans la lumière, elle dans l'ombre.
Lui laissant la trace de son génie, elle une promesse.
(...)
Le monde avait perdu un génie et une inconnue."
Christine Orban réussit encore une fois brillamment un portrait de femme, comme elle l'avait fait pour Marie-Antoinette (Charmer, s'égarer et mourir), Joséphine de Beauharnais et sa répudiation (Quel effet bizarre faites-vous sur mon cœur) , Virginia Woolf et Vita Sackville-West (Virginia et Vita). On l'aime énormément dans ce registre : vivement le prochain !
Céline Maltère
Paru chez Albin Michel
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