À l'origine de La Chambre verte, Henry James - Vivre avec nos morts

La Chambre verte de Truffaut s'appuie sur une nouvelle d'Henry James intitulée "L'Autel des morts".




Dans le film, il est question d'un homme qui voue un culte à ses morts, au point d'en oublier de vivre. Il a l'idée de leur ouvrir une chapelle au sein de laquelle chaque défunt a sa bougie.
Au début de La Chambre verte, Julien Davenne (joué par François Truffaut) console un ami qui vient de perdre sa femme. Un peu plus tard, il est choqué de le voir déjà avec une autre femme : lui, jamais il n'aurait trahi la mémoire de son épouse! Il lui reste fidèle dans la mort, lui a consacré chez lui un véritable autel.
Quand il rencontre Cécilia, jouée par Nathalie Baye, il a quelqu'un avec qui partager cette dévotion pour les morts.




"L'Autel des morts" d'Henry James raconte l'histoire de George Stransom, qui, comme Julien Davenne, voue un culte à ses morts, les Autres, comme il les appelle. Il n'a pas été marié, mais a perdu Mary Antrim juste avant de pouvoir l'épouser, et c'est à ce "pâle fantôme" qu'il se consacre, comme à tous ses autres morts. Il n'y en a qu'un qu'il a exclu de son culte : c'est Acton Hague, un ami qui l'a trahi.
Un jour, il voit une femme en prière dans l'église. Elle partage avec lui cette pensée pour les morts, même si elle ne se voue qu'à un seul.
Coïncidence : il apprendra bientôt que celui à qui elle donne la lumière de son unique bougie est justement celui à qui il ne veut pas en consacrer une! Et il refuse de lui faire une place personnelle dans son autel, même si cette décision l'éloigne de cette femme dont il est un peu épris.



Il est plus difficile de voir les ressemblances entre le film et la nouvelle "La Bête dans la jungle", qui raconte l'histoire d'un homme dans l'attente : il attend quelque chose qui lui arrivera un jour, et une femme seulement est dans cette confidence. (voir "De l'attente".


(La nouvelle "Les amis des amis" serait aussi dans les sources d'inspiration de Truffaut.)


"Ce que vous n'avez pas compris et que je me décide à vous dire, c'est que je vous aime ; mais je sais que pour être aimée de vous, il me faudrait être morte."


Comment "Vivre avec nos morts", pour reprendre le titre du dernier livre de Delphine Horvilleur, nos morts étant à comprendre comme les personnes ou nos morts/cassures?
Julien Davenne est entouré de fantômes et ce serait pour lui une trahison de vivre. Le fantôme est une présence/absence qui retient dans le passé. Pour preuve, celui qui se fait "ghoster", dans le langage actuel, a plus de mal à se remettre de la disparition de l'autre (ghoster = rompre brutalement tout contact avec quelqu’un sans avertissement ni explication).
Dans la religion juive, Delphine Horvilleur raconte qu'on coud les linceuls pour éviter justement que le mort ne s'échappe.

À écouter aussi (avec une référence au film) : le podcast "Les fantômes dans nos vies".
https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-ete-comme-jamais/l-ete-comme-jamais-du-mercredi-06-juillet-2022-1608955