Le Manoir des lettres
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Viendra le temps du feu : Sapphô armada! Wendy Delorme & Abel Burger Empty Viendra le temps du feu : Sapphô armada! Wendy Delorme & Abel Burger

Sam 6 Nov - 8:19
Viendra le temps du feu : Sapphô armada! Wendy Delorme & Abel Burger Wendy-11


Des voix de femmes, celle d'un homme et celle d'une enfant alternent pour nous raconter un monde, si proche du nôtre et si lointain. Ève prend la parole, puis Louise, Raphaël, Rosa, Grâce, les Uraniens, l'Enfant... quelques chapitres où, au début, on se perd, ne sachant pas qui est qui, où l'on est... jusqu'à ce que le dessin s'élargisse et prenne forme, au point de ne plus vouloir lâcher le livre qui nous dit un futur noir et inquiétant, mais aussi la lutte et l'espoir.
Il y a la Cité des Autres, d'où l'on ne sort pas et où les mœurs ont été rétablies et corsetées. Toute femme qui a atteint 25 ans est en devoir de procréer (2.5 enfants/femme sont réclamés par l'État). Une paire (et non un couple) qui n'aurait pas d'enfant subit des contrôles médicaux et est placé sous surveillance. C'est le cas de Louise, qui n'a aucune envie d'enfanter et qui a toujours vécu ici. Chez les Autres, les jeunes se sont suicidés en masse : ils se sont jetés dans le vide, ils ont refusé de contribuer à ce monde oppressant où ils étaient voués à devenir des reproducteurs et des travailleurs. Il faut donc procréer pour les remplacer au plus vite...
De cette Cité, on ne sort pas ; il est impossible de partir en vacances, de voir d'autres terres. Le monde s'arrête au Fleuve infranchissable, surveillé par des gardes. On ne s'enfuit pas, mais on n'entre pas non plus. Ceux qui viennent des régions inhabitables à cause des hautes températures sont contenus hors des frontières. Les hommes font une sorte de service militaire qui les conduit près de ces miradors où ils doivent repousser et tuer les étrangers.
L'argent n'existe plus. Les gens reçoivent des avoirs pour les services rendus à la Cité, avoirs qui permettent de se loger, de se nourrir. Une partie de la population vit dans les bas-fonds et la misère. Les livres sont aussi interdits, et on a pris soin d'effacer les données du monde d'avant.
Tout est arrivé très doucement : des brimades, des répressions, puis de vraies balles tirées sur les opposants, jusqu'au vote du Pacte national qui a soumis totalement la population.
Mais, au-delà du Fleuve, durant trente ans, un groupe de femmes a creusé la montagne : Ève en a fait partie, bien que revenue dans la Cité avec l'enfant qu'elle a mis au monde (on apprendra que c'est son amour passionné pour Louve qui l'a fait renoncer à son utopie et qu'elle a traversé le Fleuve pour retrouver celle qui l'avait abandonnée).
Rosa a été ensevelie sous la montagne, quand les Autres ont décidé de tout détruire et de s'attaquer à ce monde où les femmes vivaient en autarcie :
"Je ne suis pas d'ici. J'ai grandi tout à l'Ouest, en haut des grandes falaises, dans un village qui est devenu l'annexe des citadins, lorsque les grandes chaleurs rendent la ville infernale. Lorsque j'étais plus jeune, je suis partie pour vivre dans la communauté des sœurs qui se trouvait non loin de cette ville, au pied de la montagne, à l'orée de la forêt. Voici trois ans maintenant, on nous a massacrées, et détruit nos maisons."
Rosa a continué d'écrire avant de mourir, dans l'espoir où l'on retrouverait un jour son témoignage.
Grâce a fait partie de ce groupe : rescapée de l'attaque, elle vit désormais dans la Cité en espérant retrouver les sœurs perdues, des survivantes. Elle dit même que, si elle ne retrouve pas de survivantes dans le monde des Autres, elle en tuera quelques-uns :
"Une femme-bourreau fait toujours sensation".

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Cette société secrète, où les femmes sont des sœurs et des amantes, est décrite ainsi :
"Nous avions souvent entendu dire (...) qu'il y avait un ailleurs. (...) C'étaient des ouï-dire, des peut-être, une légende, nourrissant un espoir. Celui qu'il y avait, plus loin au cœur des terres en bordure du fleuve, au pied d'une montagne, un village autonome où l'on creusait la pierre, qui s'était développé en marge du territoire, sans obéir aux lois édictées par les Autres. On disait que c'était une sororité composée d'exilées de toutes provenances."
La solidarité, l'amour, les valeurs disparues dans le nouveau monde sont cultivées par le groupe :
"Elle m'a dit alors : "Tu es une sœur pour moi." Ensuite nous avons appelé "sœur" chaque être qui venait de loin pour nous trouver, au pied de la montagne, à l'orée de la forêt."

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"Celui d'une utopie, d'un monde où la violence ne s'exerçait pas pour soumettre et dominer, seulement pour survivre. D'un monde où l'on touchait la pierre, le bois, la peau, d'une même façon, pleine et caressante. D'un monde où l'on savait que les contours des autres ne commencent pas là où s'arrêtent les nôtres, et que blesser autrui c'est se faire mal à soi. Car nous sommes un tout."

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Retour à la nature, à la terre, aux sentiments :
"Il ne suffisait pas de traverser les eaux pour changer d'univers, et reconstruire un monde. Notre utopie était de pierre, de bois et d'eau, de chair, de sang, de peau, d'exil, de peine, d'amour, de chants, d'espoir, de paix. Que les longs flots du fleuve ne pourraient protéger."
Le monde des Autres assigne un rôle aux hommes et aux femmes. Ève remarque que les autres femmes ont accepté leur fonction :
"Au sortir de l'école, je croise le regard de celles qui sont mères. J'y lis une solitude proche de la mienne. Mais si je m'avisais de leur tendre la main, de leur dire "Je te vois, viens et soyons sœurs", elles s'offusqueraient. Dans leur monde on s'invite à boire le café et manger du gâteau. On parle du temps qu'il fait, des tracas au boulot, des frasques du mari, des inquiétudes du jour. Et ça s'arrête là."
Dans ce monde, les amours homosexuelles sont réprimées violemment et interdites. On apprend peu à peu que l'homme qui parle, Raphaël, aime les garçons et qu'il fait partie lui aussi d'un groupe de rebelles dans la Cité, qui agit en cachette et qui fomente une révolte. Rappel de Notre-Dame qui brûle : la cathédrale, symbole de la Cité des Autres, est en flamme, et c'est le premier avertissement.
"Nos amours qui partout doivent se taire, se cacher, ces amours pour lesquelles toutes nous avons dû fuir nos contrées d'origine, à cause desquelles certaines portent un sceau d'infamie brûlé à même la chair, ont vu celles qu'elles aimaient pendues, violées, brûlées, enfermées pour toujours selon la loi du lieu où elles vivaient avant, ces amours interdites, chez nous pouvaient se dire, et se vivre au grand jour."
Les genres sont bien distincts, les normes régissent le vie des individus. On est homme ou on est femme, et on répond aux lois de la nature. Le désir n'existe pas, il ne peut prendre qu'une forme : celle de la reproduction.
"Elles s'appelaient les sœurs. Toutes n'étaient pas nées femmes, certaines avaient fui cette caste masculine où on les assignait et se sont faites elles-mêmes, s'échappant pour ne pas le payer de leur vie. D'autres avaient décidé de ne plus être femmes comme nous l'entendons, refusant la sentence ("c'est une fille") qui a suivi de près leur venue dans ce monde. Ensemble, ces personnes avaient choisi d'user du féminin pluriel pour s'autodésigner. Comme acte politique, pour détruire dans la langue l'exercice du pouvoir qui les violentait."

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Le chœur qui tisse ce récit montre lentement ce qui lie tous ces personnages : le désir de liberté et l'amour de la vie. Ève vit pour Louve, pour ce désir et cet amour qu'elle éprouve pour elle. Elle se souvient de leur rencontre dans les grottes, de la façon dont elle a dû l'apprivoiser, de leur plaisir ensemble :
"J'avais peur. Peur qu'elle se retire du trop d'intensité. Je savais que nous nous étions connues pour vivre ce rapprochement et je l'ai attendue, patiemment, durant presque deux ans. Elle semblait ne pas savoir. Elle ne me voyait pas, vraiment."

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"Elle était bien plus belle que tous les animaux et tous les êtres humains."
"Quand on aime si fort on ne sait plus qui on est, sans ce si grand amour. (...) Je le dirai aussi, à ma fille. (...) Quels étaient nos rituels. Je chanterai les chansons que nous entonnions toutes pour célébrer ensemble notre sororité."
Viendra le temps du feu : Sapphô armada! Wendy Delorme & Abel Burger 20211114

On peut lire dans cette phrase la force de cet amour pour Louve :
"Car celle que j'ai aimée, elle n'a pas existé telle que je la voyais. L'amour que j'ai conçu, l'amour que j'ai porté, il était bien trop grand pour une simple mortelle, quelle que soit sa beauté."

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Grâce raconte comment elle a aimé Marcia autrefois dans le monde des Autres, avant de fuir :
"Toutes les filles riaient, heureuses sous les étoiles. Marcia ne le savait pas, mais je dansais pour elle. Tout mon corps ondulait du désir d'attirer ses yeux sur moi. J'étais comme ces oiseaux de bruyère qui viennent sur la falaise le soir au tomber du soleil en saison des amours et déploient toutes leurs plumes, pour plaire et s'accoupler. Une oiselle cendrée."

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Le monde des Autres est construit sur les frontières : entre les sexes, entre les gens, entre les terres. C'est un monde qui sépare. Le monde des sœurs est tout le contraire : il inclut, il intègre. Il est bâti sur la Sororité.
"Elle dit que les frontières, c'est une question de peur. Et que maintenant la peur est partie en fumée."
Les parties en italiques sont réservées à Rosa, restée sous la terre après la destruction. On ne sait pas si elle est morte ou si on la retrouvera un jour. Il y a aussi les textes des Uraniens, ces rebelles dont fait partie Raphaël et qui affichent leurs slogans dans les rues pour réveiller la population. Ces lettres sont tirées du livre Un appartement sur Uranus (2019) de Paul B. Preciado, dont les écrits sur le genre sont très engagés :
"Je ne suis pas un homme je ne suis pas une femme je ne suis pas hétérosexuel je ne suis pas homosexuel je ne suis pas bisexuel. Je suis un dissident du système genre-genre."
Wendy Delorme fait aussi référence aux Guérillères de Monique Wittig, texte féministe et lesbien.

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Dans ce roman choral, on est en milieu familier. On a envie de connaître cette terre d'exil, ce Canary Bay, cette terre de Lesbos où l'on suit ses désirs, où on lit, on écrit... on raconte. Viendra le temps du feu est un livre de femme, qui monte en puissance au fil des pages. Et quand on le referme, on croit vraiment que cette utopie pourrait exister et que l'on y vivrait volontiers avec Wendy Delorme et tant d'autres. Entre sœurs.

Viendra le temps du feu : Sapphô armada! Wendy Delorme & Abel Burger 20211118


Les peintures qui illustrent ce texte sont des œuvres d'Abel Burger.
Exposition à Collioure : "Seul le souvenir des choses". (du 9 octobre 2021 au 3 janvier 2022).
Éditions Cambourakis, collection "Sorcières".
* Sapphô armada fait référence à une création de Céline Maltère et Audrey Faury parue dans dans Violences (2021) :
Son exergue fait aussi référence aux Guérillères.

Céline Maltère
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