Le Manoir des lettres
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L'Absence - pour celles qui espèrent Empty L'Absence - pour celles qui espèrent

Mer 15 Fév - 12:54
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En 1904, Natalie Barney, poétesse lesbienne connue pour avoir séduit de nombreuses femmes et avoir réuni dans son salon parisien des écrivaines telles que Radclyffe Hall, Gertrude Stein ou encore Colette, est abandonnée par Renée Vivien. Cette dernière  l'aimait, mais souffrait de sa nature volage (cette souffrance et cet amour, elle en a rendu compte dans le recueil Une femme m'apparut (1904)).

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Renée Vivien et Natalie Clifford Barney

Pour la faire revenir, Natalie Barney passe par l'écriture et lui clame la douleur de son absence, espérant un retour auquel, au fond, elle ne croit pas. Renée Vivien est avec une autre femme et la mort ne lui laissera de toute manière pas le temps de retrouver son amante.
Dans la préface de Je me souviens..., réédité en ce début d'année 2023 par L'imaginaire Gallimard, Suzette Robichon, éditrice, essayiste et militante féministe et lesbienne, retrace l'histoire de ce petit livre, paru de manière anonyme, condensé d'amour, de souffrance et d'espoir. Dans une deuxième préface, Félicia Viti, réalisatrice et scénariste, propose une introduction plus intime en livrant au lecteur ces sentiments qu'elle a partagés avec la poétesse :

""On ne se souvient que de ce qu'on espère." On rêve de retour."

Natalie Barney écrit, pensant que l'écriture aura le pouvoir de faire revenir l'Aimée. En même temps, elle ne parvient pas à le croire. Le recueil en quatre parties raconte, sous forme de courts textes poétiques, la rencontre, puis l'absence. La dernière partie, "Le retour", dit plutôt l'espoir vain. Un interlude, à l'ambiance symboliste, nous conduit au cœur d'une forêt, dans une sorte de rêve.
L'esprit élégiaque, tout comme la poésie de Sapphô, souffle sur ce recueil, qui exprime au plus près les sentiments qu'éprouve l'abandonnée, attendant le retour de sa "Morte Vivante".
Extraits :

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C. Maltère


Dernière édition par Le Manoir le Sam 2 Déc - 9:16, édité 1 fois
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L'Absence - pour celles qui espèrent Empty L'absence ou l'absolu, L'Évaporée, Chiarello & Delorme

Jeu 17 Aoû - 20:41
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J'ai repoussé longtemps la lecture de L'Évaporée, par peur que ce ne soit trop tôt... Mais il aurait toujours été trop tôt, et je sentais que je me privais de quelque chose d'important en laissant ce texte attendre à côté de moi.

Le roman est écrit à quatre mains. Après s'être rencontrées en 2018 dans un salon du livre, les écrivaines Fanny Chiarello et Wendy Delorme se sont perdues un peu de vue. Suite à une rupture amoureuse (rupture non consentie et unilatérale), Fanny Chiarello se débat avec ses questions, reste en apnée à cause de l'évaporée, l'aimée qui l'a quittée sans un mot du jour au lendemain et qui est murée dans le silence. Fanny se rend compte qu'elle est même en train de perdre ce qu'il y a de plus précieux pour elle : l'écriture. Alors, elle a une idée qui sera salutaire : elle écrit à Wendy et lui propose de composer un roman ensemble. Le principe ? Elles écrivent à tour de rôle un chapitre ; Fanny n'expose pas en détail ce qui lui arrive (Wendy ne saura même pas le vrai prénom de l'évaporée). Le but, on le conçoit très bien : espérer trouver une issue, renouer avec le réel et sortir de l'impasse où l'a laissée cette femme.


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Wendy Delorme et Fanny Chiarello. (Arsène Marquis. Aline Nihoul)


Le premier chapitre, écrit par Fanny, est un véritable coup de poing : la narratrice, Jenny, nous raconte, sans complaisance, mais sans brutalité non plus, le choc de l'évaporation. Comment comprendre que celle qui vous disait la veille "quels merveilleux moments j'ai passés auprès de toi, aujourd'hui encore ; je veux ça tous les jours de ma vie" parte sans un mot, durant la nuit, reniant une histoire qui avait le goût d'absolu ? Jenny tourne toujours cette phrase dans sa tête et ne parvient pas à faire le lien entre ces paroles d'amoureuse et l'acte de quitter brutalement. Il y a de quoi devenir folle... L'écriture du premier chapitre montre le ressassement des moments heureux, que l'abandonnée voudrait oublier mais qu'elle se plaît à revivre mentalement. Elle se souvient d'un baiser — "vermine" —  ; de son image de dos, quand elles faisaient du vélo ensemble — "saleté" — ; de leurs étreintes —"ordure". En un texte préliminaire, tout est dit. L'écriture est sensible sans être mièvre, d'une apparente simplicité qui nous happe d'emblée :


"Si je comprenais pourquoi elle a choisi de disparaître, je saurais de quoi je suis censée me relever."


Fanny prendra la parole pour Jenny, la délaissée ; Wendy se chargera d'incarner Ève, l'évaporée qui n'a donné aucune explication... et en cherchant ces raisons, en inventant une identité tout autre à cette femme, elle pourra créer le miracle du remède par l'écriture.

Les chapitres dont la narratrice est Jenny nous montrent son quotidien proche de la nature (on aime particulièrement son regard antispéciste sur les choses, son goût de la terre, sa manière de s'offusquer de fleurs coupées, qu'on aurait pu laisser vivre ; on aime aussi qu'on y pédale pour oublier...!) ; elle cherche comment faire taire son absolu, cet amour dont elle ne se remet pas. Ève était une évidence. Ses amies l'écoutent encore et encore, essaient, en vain, de lui ouvrir les yeux, parfois avec sévérité, comme le montre ce dialogue :


"J'aimais tout faire avec elle.
Vous n'aviez pas de quotidien. La vie n'est pas une promenade du week-end.
Même faire les courses, cuisiner, jardiner, tout me paraissait magique.
Elle, ça l'amusait deux jours. Ensuite, elle regagnait son petit monde prestigieux.
Parfois, elle me disait qu'elle s'était fourvoyée, qu'elle aspirait à autre chose.
Elle disait ça pour te plaire mais elle est où, là ? Qu'est-ce qu'elle a choisi ?"



"C'était tellement absolu que ça n'a pas tenu, disent mes amies, je l'entends à travers mes sanglots. (...) Dans mon esprit, le mot évidence revient obsessionnellement. Je ne suis pas sûre de vouloir vivre si ça signifie trouver des équilibres tièdes avec un individu qui ne me serait ni nécessaire ni suffisant."


"Pour preuve, dirait sans doute Zia, que tu n'étais pas sa priorité, que l'absolu n'a jamais existé que dans ta tête."


Jenny s'invente des ruses, s'arrange avec elle-même pour tenir. Elle lit les signes, interprète le réel dans le sens qui lui ramènera l'évaporée :


"Je ne laisserai personne, quelles que soient ses intentions, démonter les petits bricolages mentaux qui, aussi curieux que ça puisse paraître, assurent ma santé mentale."


On lui demande de se raisonner, mais "la raison est une petite boîte fermée, une urne funéraire."


Les signes, les interprétations, le surnaturel sont les formes de l'espoir :

"Pendant deux mois, plusieurs fois par jour, quand je rentrais d'avoir couru, marché, pédalé pour épuiser mon corps et oxygéner mon cerveau, j'ai psalmodié des incantations, usé des subterfuges que suggère la superstition, argumenté avec le sort pour qu’elle m'attende, assise sur la marche de seuil ou dans sa voiture garée juste devant la maison, chaque fois le même espoir précipitait mon pouls."



Ève est partout. Comment se réapproprier les lieux, vivre sans elle ? Ce doit être possible, puisqu'il y a eu un avant...


"Je me rappelle que je peux vivre sans l'Évaporée. Je le peux forcément puisque je le pouvais avant qu'elle n'entre dans ma vie. Je ne me sentais pas incomplète alors, ni vaine au prétexte que j'étais seule et ne partageais avec personne les temps forts de mon quotidien sans tapage ; je n'éprouvais pas le besoin qu'un regard extérieur ratifie mon expérience terrestre, ni d'une présence à mes côtés pour la légitimer. Avant, il me suffisait d'avoir vu des libellules, des oies, des gallinules pour aller me coucher avec un sentiment de satisfaction, de satiété — et la certitude tranquille d'avoir une place à moi ici-bas, une place assez belle pour n'en souhaiter aucune autre. Désormais, il y manque pourtant quelque chose."


Il y avait un "avant". La délaissée sait qu'elle aura bien du mal à regagner cet éden et cette plénitude. La chanson des frères Gershwin, chantée par Joy Bryan, illustre le moment à merveille :

I was doing all right
Nothing but rainbows in my skies
I was doing all right
Till you came by
Had no cause to complain
Life was as sweet as apple pie
Never noticed the rain
Until you came by






Chaque ligne donne envie de dire : "C'est tellement juste..."

Jenny passe donc son temps à se battre avec un fantôme, cette Évaporée dont on va apprendre la vie, écrite par Wendy. Celle qui abandonne n'est pas toujours la femme sans cœur qui n'a que faire de l'autre, malgré les apparences et le silence total. C'est ce que veut nous dire cette histoire, où Ève se débat elle aussi avec un passé compliqué, avec..."ses mortes", une mère malade et une amante qui s'est autrefois suicidée. Les chapitres alternés nous montrent donc deux solitudes.


Le plaisir que donne ce livre réside aussi dans le fait que c'est un livre de femmes, et pas de bonnes-femmes. On aime être plongé dans un monde féminin, familièrement lesbien. Les hommes ne sont pas rejetés : ils n'ont juste pas leur place ici, en tout cas pas la première place, ce n'est pas le propos, c'est comme ça, naturel. Ève a deux enfants, on suppose qu'elle a eu une vie hétérosexuelle, mais c'est totalement secondaire, et on respire de lire enfin une narration qui conquiert sans bataille, rééquilibre les choses. En outre, l'altérité n'est pas fondée sur une différence des sexes, comme le racontent des passages très drôles où Jenny, désespérée, sympathise par accident avec un couple, Elo et Del, ensemble depuis vingt ans, partageant la même adresse mail (delodelair@yahoo.fr). C'est... l'autre monde :

"Je suis l'invitée d'un couple hétérosexuel non mixte."

On aime lire aussi des passages, morceaux de poésie :

"une femme ne peut aimer les hommes
que par manque d'imagination
voilà ce que je pense, mais je crains, si je le formulais
— si je m'affichais perverse à la face du monde —
que l'on me contraigne comme un bonsai
que l'on ne m'enferme dans une vie trop petite pour moi
dans un pot dans un cache-pot
que l'on ne me déforme, ne me plie, ne m'écrase"



Ce roman fait du bien, parce qu'il décrit des cheminements que beaucoup empruntent, empêtrés dans un idéal, un désir d'absolu. Jenny est écrivaine, elle a besoin de réinventer le réel, de le réenchanter. Ève, journaliste (et donc plus ancrée dans le réel...?)  lui répond souvent qu'elle n'est pas à la hauteur...
Peut-on aimer sans le désir d'absolu ? Le désir d'absolu condamne-t-il à l'échec et l'absence ?


"Depuis les cimes de l'absolu, "pas assez" avait un goût de "moins que zéro", mais d'ici-bas et après ces longues semaines de recul, "pas grand chose" paraît indubitablement mieux que rien."


"Chaque pelletée de terre tirée du sol à la force de mes bras pour ériger notre château creusait ma tombe."


Peu à peu, Jenny déconstruit et comprend que l'absolu est bon à jeter dans ce trou.


Il faut lire L'Évaporée, l'avoir dans sa bibliothèque pour sa fonction consolatrice — "(s'adressant à) ceux qui sont pensifs et ceux qui sont heureux, les mécontents et les désireux, ceux qui sont joyeux et ceux qui sont troublés, tous les amants. Puissent-ils trouver ici consolation contre l’inconstance, contre l’injustice, contre le dépit, contre la peine, contre tous les maux d’amour !", Tristan et Iseult), pour sa sensibilité, pour la prouesse d'avoir utilisé de la matière vivante et incendiaire, d'avoir su s'en détacher pour en faire un objet littéraire.




Céline Maltère


NB : J'ai peu cité les passages écrits par Wendy Delorme, non parce qu'ils seraient moins intéressants, mais pour axer le propos sur l'abandonnée. C'est aussi que les parties sur Ève donnent des clefs sur cette disparition... à découvrir !
Je citerais cependant cette phrase de son avant-propos, Écrire à deux :

"On ne peut pas, il ne faut pas forcer une rencontre. Un jour, c'est le bon moment."


À lire sur elle : Viendra le temps du feu.

Pour en savoir plus sur l'écriture de Fanny Chiarello, ce podcast enregistré en 2021 à La Maison de la Poésie :
https://podcloud.fr/podcast/la-maison-de-la-poesie/episode/fanny-chiarello-la-geste-permanente-de-gentil-coeur


Chez Cambourakis (existe en format classique ou poche).
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