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Tournier, Fournier, Benoit Empty Tournier, Fournier, Benoit

Dim 10 Oct - 12:20
Tournier, Fournier, Benoit Les_ma10

Tournier, Fournier, Benoit (par Alain Merlot)

Dans Les mauvaises pensées du Grand Meaulnes (1992), Alain Buisine met en évidence, encore plus clairement que d’autres avant lui, une forte présence du Grand Meaulnes (1913) dans Le Roi des Aulnes de Michel Tournier, paru en 1970 (et ceci compte évidemment tenu des préoccupations littéraires totalement différentes de Fournier et de Tournier).
Le démontrent effectivement (outre l’indiscutable homophonie des titres) le séjour en internat à Beauvais pour l’anti-héros Abel Tiffauges, sa relation curieuse au gigantesque Nestor, et bien entendu la scène du « tournoi de chevaliers » dans la cour de Saint-Christophe, décalquée de celle de Seurel juché sur le Grand Meaulnes et combattant les partisans du Bohémien dans la cour de l’école de Sainte-Agathe (et cette dernière analogie fut, semble-t-il, explicitement reconnue par Tournier lui-même, à l’abri d’une pirouette-provocation !).
Les similitudes ne s’arrêtent pas là : dans les deux ouvrages, les villes que fréquentent Tiffauges ou Meaulnes, que ce soit Paris ou Bourges, sont des lieux de malheur et de contraintes, qu’on dirait peints par le Céline du Voyage au bout de la nuit, par exemple chez Tournier dans les descriptions de l’authentique exécution du criminel Weidman en juin 1939, des personnages odieux comme Mme Eugénie et aussi la petite Martine !
Alors que les landes marécageuses ou forêts quasi-désertes, qu’elles soient de Sologne ou de Prusse-Orientale, sont les terres de l’épanouissement et de la liberté tant chez Fournier que chez Tournier.
La Prusse-Orientale, territoire fantôme, disparu de la carte en 1945, suite à une convulsion de l’Histoire … Comme Alain Buisine le rappelle, cette lointaine région, riveraine de la Mer Baltique, est intimement liée au Roi des Aulnes, par l’intermédiaire de la célébrissime ballade du même nom, composée par Wolfgang Goethe, elle-même dérivée de celle de Johann Gottfried von Herder (1744-1803), natif de Mohrungen (maintenant, Morag, en Pologne) puis étudiant à Königsberg (devenu Kaliningrad).
La Prusse-Orientale est en effet le lieu de plus de la moitié du roman de Tournier ; cependant, la biographie de cet auteur confirme qu’il n’a jamais fréquenté cette contrée.
Il semble que les romans contemporains ayant pour cadre cette région ne soient guère nombreux. Je n’en connais personnellement qu’un autre : Axelle, de Pierre Benoit, paru en 1928 chez Albin Michel. Ce titre est aujourd’hui bien oublié ; mais est-ce une raison pour ne pas le relire ?
Et là, énorme surprise !
On y trouve en effet de longues évocations de la lagune de Courlande, le Kurisches Haff, de Nikolaïken et de la Mazurie, etc ; et incroyablement, à l’examen attentif, les évocations du fictif Kaltenborn chez Tournier apparaissent comme des échos à peine transformés du non moins fictif Reichendorf de Pierre Benoit !
Plus exactement : dans les parties III à VI du Roi des Aulnes, Tournier organise ses peintures de la monstruosité (humaine et aussi animale – voir le gigantesque élan aveugle appelé l’Unhold, le malgracieux, qu’apprivoise Tiffauges) selon un canevas chronologique et événementiel quasiment identique à celui d’Axelle. En voici des exemples, sans prétention à l’exhaustivité.

Le cadre et l’époque : une guerre mondiale avec, pour conclusion, l’écroulement de l’Allemagne, wilhelminienne dans Axelle, hitlérienne dans Le Roi des Aulnes ; avec, en particulier, l’ultime offensive allemande de juin-juillet 1918 pour Axelle, celle de juin 1941 pour Le Roi, qui toutes les deux préludent à la défaite finale.
En décembre 1917, Pierre Dumaine (le héros d’Axelle) prisonnier quitte Erfurt en train pour Reichendorf en Prusse-Orientale (le stalag est fictif) en passant par Berlin et Schneidemühl ; en juin 1940, Tiffauges quitte son cantonnement alsacien d’Erstein et est fait prisonnier près d’Epinal, puis dirigé en train vers Schweinfurt, la Saxe, Berlin et Insterburg, pour arriver à Moorhof en Prusse-Orientale (le stalag est également fictif).
De par leur expérience professionnelle civile, les prisonniers Dumaine et Tiffauges ont rapidement un traitement « de faveur » dans leur camp respectif, de la part du capitaine Elbing comme du lieutenant Teschemacher (circonstance peu vraisemblable dans la réalité ?)
Dans chaque roman est présenté l’échec d’une évasion de deux camarades de baraquement (avec un mort pour finir) : Vandaële et Audemard dans Axelle, Ernest et Bertet dans Le Roi.
La pénurie est la règle pour les habitants dans les villages de Prusse-Orientale, en 1942-43 comme en 1918.
Une sorte d’ogre est dépeint dans chaque cas : en 1941, le Reichsmarschall Göring à Rominten (ou Hitler à la « Wolfsschanze » de Rastenburg), et l’empereur Guillaume II au temps d’Axelle, évoqué aussi dans Le Roi par ses haras de Trakehnen.
Dans Le Roi, le seigneur du fictif Kaltenborn est le général comte Herbert, vieux et effacé ; celui du fictif Reichendorf d’Axelle, le général comte Hugo, autre vieillard sénile.
L’Oberforstmeister joue pour Tiffauges un rôle similaire à celui du valet Gottlieb pour Dumaine.
Les deux romans rappellent naturellement l’histoire glorieuse des Chevaliers Teutoniques, et fournissent des descriptions du gibier de Prusse-Orientale.
On trouve aussi de nombreux détails sur les grades et uniformes dans les Eaux et Forêts de Prusse-Orientale et dans la SS dans Le Roi, et sur les uniformes de parade des officiers de l’armée allemande dans Axelle.
Les deux auteurs décrivent en termes quasi-similaires les tempêtes et les hurlements du vent dans les corridors de Kaltenborn comme de Reichendorf.
En conclusion des deux ouvrages, la mort sur de vains champs de bataille attend les jeunes garçons de la napola du Roi comme les fils du dernier seigneur de Reichendorf.

De pures coïncidences, ces analogies ? Mais elles sont nombreuses …
Surgit alors la question inévitable : le germaniste Tournier (1924-2016) aurait-il lu Axelle de Pierre Benoit lors de ses études ? ou l’aurait-il découvert dans une bibliothèque familiale ou municipale ? Je n’ai encore rien appris à ce sujet.
Et si oui, l’aurait-il apprécié au point de s’en inspirer pour un de ses propres ouvrages ?
Ce Roi des Aulnes, définitivement une sorte de réécriture tourniérienne du Grand Meaulnes ; mais aussi : un Axelle sans Axelle ? un « centon » rassemblant Fournier, Benoit, et Tournier ?
Tournier, Fournier, Benoit Unname10
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