"Céline Maltère fait sa tête de lard !" (Céline Maltère, Les Nouvelles Charcutières, 2018)
Mar 20 Avr - 21:04
Disons-le tout net : la littérature de Céline Maltère ne s’adresse pas aux demi-portions, aux lymphatiques et aux sensibles, ceux à qui la vue du sang (de boudin) fait lever le cœur, ceux qu’une saucisse-cocktail rassasie, ceux qui « craignent » les bizarreries de l’âme humaine et la cruauté du réel… Non, vous pouvez passer votre chemin : vous trouverez aisément de quoi lire tranquille.
Pour aimer la littérature de Céline Maltère, il faut avoir lu ses classiques, aimer ricaner et se laisser porter sur les chemins de l’étrange par sa prose précise et belle.
Les Nouvelles Charcutières (Ginkgo éditeur, 2017) s’inscrit dans la lignée des Cahiers du sergent Bertrand (Sous la Cape, 2015) et de La Grotte aux Nouilles (Sous la Cape, 2016), dont il pourrait constituer le troisième volet d’une trilogie. Pour le choix de la forme d’abord, un mélange de nouvelles et de poèmes, mais aussi par la proximité de ton et d’inspiration. Deux textes du recueil figurent d’ailleurs dans ces deux ouvrages antérieurs, confirmant la filiation.
Sous le patronage de Lisa Macquart, l’héroïne charcutière du Ventre de Paris, Céline Maltère, le tablier noué dans le dos, la trancheuse à jambon à la main, a construit rigoureusement son temple du boudin : cinq tranches, comme les cinq actes d’une tragédie, un prologue, un intermède et un épilogue. Entrée, plat et dessert ! Et tout cela se lit d’une traite, sans risque d’indigestion (le trou normand est offert par la maison !).
Tout commence par un concours où sont rassemblées les tueuses mythiques, les assassines de l’histoire – on reconnaît Médée, Judith, les Danaïdes – toutes prétendantes au titre de « Charcutières de légende ». Mais le concours tourne court : il est bien beau de tuer, mais encore faut-il savoir cuisiner ! Toutes ont laissé perdre la viande. « Revoyez vos mythes », lance, impitoyable, le président en annulant les jeux. Le ton est donné dans ce prologue drolatique et les mythes revisités à la sauce grand veneur : Frankenstein, la guerre de Troie (de Troyes, évidemment !), la légende de Saint-Nicolas…
Les nouvelles sont brèves et percutantes : on a retiré le gras du jambon pour ne laisser, en guise de fioriture, qu’un brin de persil dans les narines de la tête de cochon. Derrière la vitrine, quel aréopage ! On croise une artiste-charcutière pour qui il n’y a qu’un pas du lard à l’art, la patriotique Mme Gaifule et son ambitieux projet pour la tour Eiffel, la terrible Miss la Truie dont la vengeance sera terrible, Elsa Couenne, la tueuse de nazis, Madeleine la mal-nommée, La Raisin et son andouillette magique, mademoiselle Dubouchet, la Prométhée-charcutière, etc.
Ces nouvelles charcutières sont des combattantes et l’ouvrage, sans forcer le trait, est un manifeste subtil qui trouve son sommet dans l’intermède, « Le tétraptyque de la femme gestante ». Accompagnés des collages de Jean-Paul Verstraeten, ces textes en forme de saturnales donnent à réfléchir à la condition animale : mangerions-nous un enfant de lait ? Quel sort les animaux, à la verticale sur leurs deux pattes, réserveraient aux humains, si le rapport de force était inversé ? Rosende est l’héroïne de ce combat, la mater dolorosa des animaux martyrs, celle qui récite la « Litanie des abattoirs » devant ses bocaux de formol. C’est féroce, cruel, mais Voltaire, après tout, a bien fait comprendre l’horreur de la guerre en donnant à voir une boucherie héroïque…
Humour noir, grotesque, souvenirs d’enfance et de lectures, leitmotive et préoccupations sociétales entrent dans cette terrine littéraire, admirablement préparée, qui amuse les papilles, sans jamais peser sur l’estomac. Une manière de corriger les mœurs par le rire.
Pour aimer la littérature de Céline Maltère, il faut avoir lu ses classiques, aimer ricaner et se laisser porter sur les chemins de l’étrange par sa prose précise et belle.
Les Nouvelles Charcutières (Ginkgo éditeur, 2017) s’inscrit dans la lignée des Cahiers du sergent Bertrand (Sous la Cape, 2015) et de La Grotte aux Nouilles (Sous la Cape, 2016), dont il pourrait constituer le troisième volet d’une trilogie. Pour le choix de la forme d’abord, un mélange de nouvelles et de poèmes, mais aussi par la proximité de ton et d’inspiration. Deux textes du recueil figurent d’ailleurs dans ces deux ouvrages antérieurs, confirmant la filiation.
Sous le patronage de Lisa Macquart, l’héroïne charcutière du Ventre de Paris, Céline Maltère, le tablier noué dans le dos, la trancheuse à jambon à la main, a construit rigoureusement son temple du boudin : cinq tranches, comme les cinq actes d’une tragédie, un prologue, un intermède et un épilogue. Entrée, plat et dessert ! Et tout cela se lit d’une traite, sans risque d’indigestion (le trou normand est offert par la maison !).
Tout commence par un concours où sont rassemblées les tueuses mythiques, les assassines de l’histoire – on reconnaît Médée, Judith, les Danaïdes – toutes prétendantes au titre de « Charcutières de légende ». Mais le concours tourne court : il est bien beau de tuer, mais encore faut-il savoir cuisiner ! Toutes ont laissé perdre la viande. « Revoyez vos mythes », lance, impitoyable, le président en annulant les jeux. Le ton est donné dans ce prologue drolatique et les mythes revisités à la sauce grand veneur : Frankenstein, la guerre de Troie (de Troyes, évidemment !), la légende de Saint-Nicolas…
Les nouvelles sont brèves et percutantes : on a retiré le gras du jambon pour ne laisser, en guise de fioriture, qu’un brin de persil dans les narines de la tête de cochon. Derrière la vitrine, quel aréopage ! On croise une artiste-charcutière pour qui il n’y a qu’un pas du lard à l’art, la patriotique Mme Gaifule et son ambitieux projet pour la tour Eiffel, la terrible Miss la Truie dont la vengeance sera terrible, Elsa Couenne, la tueuse de nazis, Madeleine la mal-nommée, La Raisin et son andouillette magique, mademoiselle Dubouchet, la Prométhée-charcutière, etc.
Ces nouvelles charcutières sont des combattantes et l’ouvrage, sans forcer le trait, est un manifeste subtil qui trouve son sommet dans l’intermède, « Le tétraptyque de la femme gestante ». Accompagnés des collages de Jean-Paul Verstraeten, ces textes en forme de saturnales donnent à réfléchir à la condition animale : mangerions-nous un enfant de lait ? Quel sort les animaux, à la verticale sur leurs deux pattes, réserveraient aux humains, si le rapport de force était inversé ? Rosende est l’héroïne de ce combat, la mater dolorosa des animaux martyrs, celle qui récite la « Litanie des abattoirs » devant ses bocaux de formol. C’est féroce, cruel, mais Voltaire, après tout, a bien fait comprendre l’horreur de la guerre en donnant à voir une boucherie héroïque…
Humour noir, grotesque, souvenirs d’enfance et de lectures, leitmotive et préoccupations sociétales entrent dans cette terrine littéraire, admirablement préparée, qui amuse les papilles, sans jamais peser sur l’estomac. Une manière de corriger les mœurs par le rire.
Stéphane Maltère
Céline Maltère, Les Nouvelles Charcutières, Ginkgo éditeur, 2017, 128 pages, 9 euros.
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