Le Manoir des lettres
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Madame Deshoulières Empty Madame Deshoulières

Lun 19 Juin - 19:39
Madame Deshoulières Produc12


Antoinette Deshoulières est une femme de lettres du XVIIème siècle, dont Poésie/Gallimard réédite les poèmes cette année sous le titre "De rose alors ne reste que l'épine", vers tiré de l'un de ses textes.
Réparties en plusieurs sections (Être femme / Chansons, ballades, rondeaux... /La plume à la patte / Dans le monde / Penser et combattre), les poésies de Madame Deshoulières abordent  les thèmes de l'amour, du temps qui passe. Il est question des vanités et l'on trouve en elle une héritière du poète latin Lucrèce quand elle commence l'un de ses poèmes par un hymne à Vénus, s'inscrivant ainsi dans une lignée épicurienne (doublée d'un certain stoïcisme) évidente avec les vers de "Penser et combattre". Dans cette section, on aime les textes courts qui sont comme des pensées ou des adages, nous donnant des conseils pour mieux vivre, des vers pleins de raisons.
Antoinette Deshoulières se place aussi dans le sillage d'Ovide par ses conseils sur l'amour. Il se peut que la personne aimée en aime une autre ou encore qu'on éprouve les tourments de l'amour naissant. Les sentiments sont indémodables, et on peut retenir certains de ces vers, mis magnifiquement en musique par Jean-Louis Murat qui a fait connaître Madame Deshoulières à travers un album de 17 titres.
Morceau phare et ovidien : ce rondeau, "Contre l'amour", chanté par Isabelle Huppert incarnant la poétesse :


"Contre l’amour voulez-vous vous défendre ?
Empêchez-vous et de voir et d’entendre,
Gens dont le cœur s’explique avec esprit.
Il en est peu de ce genre maudit,
Mais trop encor pour mettre un cœur en cendre.

Quand une fois il leur plaît de nous rendre
D’amoureux soins, qu’ils prennent d’un air tendre,
On lit en vain tout ce qu’Ovide écrit
Contre l’amour.

De la raison il ne faut rien attendre :
Trop de malheurs n’ont su que trop apprendre
Qu’elle n’est rien dès que le cœur agit.
La seule fuite, Iris, nous garantit ;
C’est le parti le plus utile à prendre
Contre l’amour."


Lutter contre l'amour est une entreprise vaine. Plus Iris s'éloigne de lui, plus elle risque d'être sa victime. Et la chanson XVI nous le rappelle :



"Ah ! que je sens d’inquiétude !
Que j’ai de mouvements qui m’étaient inconnus !
Mes tranquilles plaisirs, qu’êtes-vous devenus ?
        Je cherche en vain la solitude.
D’où viennent ces chagrins, ces mortelles langueurs ?
        Qu’est-ce qui fait couler mes pleurs
Avec tant d’amertume et tant de violence ?
De tout ce que je fais mon cœur n’est point content.
Hélas ! cruel amour que je méprisais tant,
Ces maux ne sont-ils point l’effet de ta vengeance ?"





... tout comme l'"Ode à Climène" (extrait) :



"Ne pourra-t-on vous contraindre
À quitter de tristes lieux ?
Faudra-t-il toujours se plaindre
De ne point voir vos beaux yeux ?

Encor quand les fleurs nouvelles
Naissent partout sous les pas,
Quand toutes les nuits sont belles,
La campagne a des appas.

Mais quand l’hiver la désole,
Qu’on ne peut se promener,
Climène, il faut être folle
Pour ne pas l’abandonner.

De ce qui vous y peut plaire
Daignez nous entretenir :
Je ne vois qu’une chimère
Qui vous y peut retenir.

Oui, j’ai deviné sans doute
D’où vient un si long séjour :
Votre jeune cœur redoute
Un mal qu’on appelle amour.

Vous croyez qu’on ne le gagne
Qu’au milieu des jeux, des ris :
Il se prend à la campagne,
Comme il se prend à Paris."



Madame Deshoulières 35255210






Les bergers tentent d'embrasser des bergères, quand certaines femmes s'éloignent de Paris pour échapper à l'amour. Iris, "entre deux draps", se livre seule au plaisir, et les inquiétudes (mot plus fort au XVIIème siècle que de nos jours) emplissent les cœurs des amoureuses.

C'est un art d'aimer écrit parfaitement par une femme de son temps, mariée et clamant pourtant les douceurs de l'innamoramento en même temps que les douleurs des amours qui s'éteignent ou ne sont pas partagées... L'amour acquis ne donne rien de bon :
"Soyez inexorable
L'amour est inévitable...

Un amant bien traité se rend insupportable ;
Il néglige l'objet dont son cœur est charmé ;
De tous les petits soins il devient incapable :
Un amant sûr d'être aimé
Cesse toujours d'être aimable
.
"




Si l'amour est très présent dans le recueil, sous la forme bucolique qui nous vient aussi des pastorales, on trouve une invitation à profiter du présent :
"L'avenir remplit notre idée
Il est l'unique but de nos empressements".


Et la raison (presque toltèque) devrait nous pousser à ne pas anticiper :



"À quoi donc nous sert-elle ? À faire voir d'avance
Les maux que nous devons avoir.
Est-ce un bonheur de les prévoir ?"


On aime moins les parties sur le monde et la Cour, ou celle où il est question des chats, des cochons qui se parlent... En revanche, la partie "Penser et combattre" contient aussi des textes où la poétesse s'adresse aux fleurs, aux ruisseaux, aux oiseaux, pour leur dire combien ils sont plus heureux que nous. Elle passe par la nature pour montrer l'inconstance des hommes :


"Et le cœur le plus amoureux
Devient tranquille, ou passe à des amours nouvelles.
Ruisseau que vous êtes heureux !
Il n'est point parmi vous de ruisseaux infidèles."


Et sur les fleurs ("Idylle, les fleurs") :

"Ah, consolez-vous-en, Joncquilles, Tubéreuses :
Vous vivez peu de jours, mais vous vivez heureuses !
(...)
Vous ne ressentez point la mortelle tristesse
Qui dévore les tendres cœurs,
Lorsque plein d'une ardeur extrême
On voit l'ingratitude objet qu'on aime,
Manquer d'empressement, ou s'engager ailleurs.
(...)
Quand une fois nous cessons d'être,
Aimables fleurs, c'est pour jamais !"


On croirait lire les mille baisers et l'invitation à aimer de Catulle...


Madame Deshoulières 35304310


Elle donne aussi des conseils à une jeune femme qui veut écrire et se lancer dans le monde. Elle la prévient de ce qui l'attend par ces mots qu'on peut retenir :

"Personne ne lit pour apprendre,
On ne lit que pour critiquer."



Les églogues (poème XXIII intitulé "Iris") racontent les tourments de voir l'être aimé porter son amour auprès d'une autre, qui pousse  celle qui souffre à se dire :
"L'absence, la raison, l'orgueil, rien ne me sert."


N'est-il pas mieux de vivre dans la solitude, surtout si "Savoir vivre, c'est savoir feindre." ?



"À l'abri d'une sûre et longue indifférence,
Je jouis d'une paix plus douce qu'on ne pense.
L'esprit libre de soins, et l'âme sans amour,
Dans le sacré vallon je passe tout le jour :
J'y cueille avec plaisir cent et cent fleurs nouvelles
Qui braveront du temps les atteintes cruelles"


Madame Deshoulières 35236410


On aimera aussi des chansons comme celle-ci, conseil avisé aux amoureux :


"On connaît peu l'amour lorsqu'on ose assurer
Qu'avec la jalousie il ne saurait durer :
Loin de le ralentir, tout ce qu'elle conseille
Ne sert qu'à le rendre plus fort.
Un peu de jalousie éveille
Un amour heureux qui s'endort."


Ou le madrigal (XXIX) où Alcidon parvient à dérober quelques baisers à sa Bergère... qui y prend goût et lui en donne d'autres :



"Le premier fut pure rapine,
Les deux autres furent un don."

Ode à Vénus... mais aussi hymne à Bacchus, puisque le vin est plus sûr de rendre heureux quelquefois, comme dans l'extrait de cette ballade :

"Le verre en main je prétends faire un vœu,
Dont nul mortel ne me fera dédire :
C'est de braver, ceci n'est point un jeu,
Ce traître Amour qu'on ne peut trop maudire.
Les repentirs suivent l'engagement.
N'écoutons point ce que le cœur conseille :
Ne préférons pour vivre heureusement,
Ni les soupirs, ni les soins d'un amant,
Au doux glouglou que fait une bouteille."



Madame Deshoulières 35404210


Finalement, faut-il prendre l'amour au sérieux ?



"Et parmi nous quand les belles
Sont légères et cruelles,
Loin d'en mourir de dépit,
On en rit,
Et l'on change aussitôt qu'elles."

Céline Maltère
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