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Jeanne Galzy Empty Jeanne Galzy

Sam 20 Mai - 13:28
Jeanne Galzy 20230514



L'Imaginaire Gallimard réédite Les Allongés, roman de Jeanne Galzy (1883-1977) qui a obtenu en 1923 le prix Femina. L'auteur a été reconnue en son temps, à la fois par le public et par la critique.
Les Allongés raconte son internement dans un centre de Berck pour soigner sa tuberculose osseuse. De nombreux patients séjournent dans cet endroit, allongés sur des chariots (gouttières), ce qui donne à voir un spectacle étonnant et morbide. Parmi ces malades, la narratrice (double de l'auteur) se sent presque privilégiée parce qu'elle a encore l'usage de ses jambes. Elle raconte  la vie à la Maison des Sables, où les patients attendent la guérison ou la mort, en vivant coupés du monde.


À plusieurs reprises, l'auteur fait comprendre que cette réclusion est une chance — une chance de reprendre son souffle puisqu'elle a passé sa vie à aimer une femme, la célèbre Caroline-Eugénie Segond-Weber (1857-1945), sans véritable réciprocité. Nous ne savons pas grand chose de leur relation, mais cette femme de seize ans son aînée était mariée et a peut-être entretenu une simple amitié avec elle. On imagine aisément, à travers quelques phrases qui échappent à la narratrice, ce que ses sentiments ont provoqué comme mal en elle :


"Je ne dis pas tout. Je ne peux pas tout dire. La pudeur de nos corps s'est abolie. Il reste encore celle de nos âmes. Il reste que c'est là encore, même pour nous, le refuge ultime des préjugés qui, dans l'ordinaire vie, murent les êtres dans la solitude de leur cœur. Nous n'osons pas. Je n'ose pas lui dire : "J'ai agonisé des semaines et des semaines, des mois et des mois. J'ai su ce qu'était l'amour non partagé et qui ne se renonce pas." Ni, en baissant la voix encore plus, sentant la pauvre humaine misère de ce qu'il me faudrait avouer, je ne lui dis que mon corps a souffert d'une autre douleur dévorante ; je ne dis pas le pitoyable mal, aussi fatal que les autres maux de la chair, et que, même aux heures les plus confiantes, nul être n'ose confier à un autre être."
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L'amour de Jeanne Galzy


Selon le principe de la collection, le texte est précédé de deux préfaces : celle de Monica Sabolo et celle d'Alice Zeniter. Cette dernière met l'accent sur le fait que Jeanne Galzy était lesbienne et qu'il n'était pas facile à l'époque de l'assumer publiquement (chose qu'elle a faite en 1971 dans une émission de radio où elle a parlé de son amour pour la comédienne, déjà morte depuis presque trente ans... pas ouvertement mais, comme l'écrit Alice Zeniter, comme étant "une grande admiratrice", avant de se lancer dans un récit de sa vie si plein de détails et de tendresse qu'il était évident qu'elle en était amoureuse.)


On se demande ce qu'a pu être la vie de Jeanne Galzy, fidèle au souvenir de cette femme... et on aurait aimé qu'elle en fasse le récit. Les dernières pages des Allongés sont belles, et elles reviennent sur ce moment où la malade va être libérée et va devoir se confronter de nouveau à sa vie, à la "vraie vie", aussi, sans doute, à sa passion pour celle qui ne l'aime pas... et cette idée de replonger la terrifie, plus que la maladie :


"J'interroge mon cœur, qui a désappris l'enivrement et qui sait l'extase. (...) J'ai peur obscurément des tentations futures, j'ai l'effroi d'être de nouveau la proie de ce que je devrais dompter ; j'ai la terreur de ne plus souffrir ou de ne connaître que des douleurs diminuantes ; j'ai l'angoisse de devoir redescendre déjà vers la vie des vivants."

Jeanne Galzy Jeanne10


Le livre est illustré des gravures d'Andrée Sikorska, et il est dédié "à la mémoire de la tragédienne Segond-Weber"...

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A. Sikorska


À lire dans la même collection : Je me souviens de Natalie Barney



Qui est Jeanne Galzy ? (source : edencash forum - https://edencash.forumactif.org/t1034-jeanne-galzy#9617)

Qui est cette auteur méconnue, autrefois publiée chez Gallimard? Voici ce qu'on trouve sur Wikipedia :


Jeanne Galzy (Montpellier, 1883 - Montpellier, 1977) était une romancière et biographe française, membre du jury du Prix Femina.

De son vrai nom Louise Jeanne Baraduc, elle était la fille d'un négociant et d'une poétesse non éditée. Elle grandit dans un milieu protestant et fit des études supérieures, fait rarissime pour une jeune fille à l'époque. Elle fut notamment Sévrienne et sortit de l'École Normale Supérieure titulaire d'une agrégation de lettres classiques.

Durant ses premières années d'enseignement, elle souffrit d'une maladie des os qui la conduisit en convalescence à Berck. Elle se servit de cette expérience pour écrire Les Allongés, qui reçut le Prix Femina en 1923. Ayant repris l'enseignement, elle fut victime d'une rechute, et se voua finalement à l'écriture.

Avec L'Initiatrice aux mains vides, elle livra un roman d'amour lesbien entre un professeur et une élève, à ranger entre Olivia de Dorothy Bussy, Jeunes Filles en uniforme de Christa Winsloe, et les œuvres de Violette Leduc ou de Jeanette Winterson, sans oublier La Bonifas de Jacques de Lacretelle. Jeunes Filles en serre chaude (1934) se voulait le portrait des élèves de l'École normale supérieure de Sèvres avant 1914.

Jeanne Galzy devint membre du jury du Prix Femina en 1964, et le resta jusqu'en 1977. En 1969, elle commença une tétralogie située dans le milieu protestant au début du XXe siècle, La Surprise de vivre. On y retrouve sur plusieurs générations le désir lesbien en butte à la morale bourgeoise, spécialement dans la société protestante du Midi.

Jeanne Galzy a donné son nom à un bâtiment de l'Université Montpellier III et à un Club de loisirs pour le troisième âge de la même ville.

Elle est inhumée au cimetière protestant de Montpellier.
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Jeanne Galzy Empty J'écris pour dire que je fus...

Mar 12 Sep - 18:29
Jeanne Galzy J-ecri10


À l'époque où elle a vécu, Jeanne Galzy a surtout fait sa réputation à partir du succès de ses romans, dont le plus connu est Les Allongés, récompensé par le prix Femina. Mais elle a commencé par l'écriture de poèmes, de forme classique, qu'elle a ensuite abandonnée, ou plutôt qu'elle a poursuivie sans les publier.
Le recueil J'écris pour dire que je fus regroupe ses poèmes écrits entre 1910 et 1921. Le titre est celui d'un texte, écrit un an avant sa mort, en 1976, et fait pour être lu à ses obsèques.
Voici deux de ses textes :

Je lui disais : le soleil brûle
La route poussiéreuse et le chemin est dur
Et lorsque tu verras tomber le crépuscule,
Qui donc préparera pour toi l'asile sûr
Et posera la lampe auprès du livre ouvert ?
Reste. J'ai peur pour toi des longs chemins déserts
Et de la nuit qui tombe et du soleil qui brûle...

Mais elle souriait de sa bouche incrédule...

Et depuis, je l'attends, depuis tant de longs jours
Que j'ai perdu leur nombre
Et je pose toujours
Quand le ciel devient sombre,
Comme un fanal d'amour,
La lampe près de la fenêtre...

Il me semble parfois, et j'espère peut-être
Que lasse des chemins rudes à ses pieds nus,
Fatiguée du soleil et peureuse de l'ombre
Elle viendra un soir plus sombre
À travers les sentiers connus,
Anxieuse, et déjà souriante peut-être,
En frappant de sa main timide à ma fenêtre...

Jeanne Galzy, "L'absente", 15 octobre 1912

J'ai posé sur les bords du puits
Une touffe de jasmins frêles.

Elle est venue pendant la nuit,
Elle s'est penchée sur le puits,
Mais n'a pas vu sur la margelle
Les fleurs si pâles dans la nuit.

J'ai mis des roses de carmin
Sur la margelle du puits d'ombre.


Elle est venue dans le matin
Sur les sombres fleurs de carmin
Elle a posé ses regards sombres ;
Mais les a laissées au puits d'ombre.

J'ai posé sur le puits d'amour
Une branche de laurier vert.

Elle est venue dans le grand jour
S'accouder sur le puits désert
Et saisissant le rameau vert,
Dédaigneuse des fleurs d'amour,
Elle a pris le laurier amer.

Jeanne Galzy, "Le puits", 25 août 1911
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