Le Manoir des lettres
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"Réflexion sur l'homophobie", Un arc-en-ciel dans les ténèbres, Libar M. Fofana Empty "Réflexion sur l'homophobie", Un arc-en-ciel dans les ténèbres, Libar M. Fofana

Sam 6 Mai - 9:20
"Réflexion sur l'homophobie", Un arc-en-ciel dans les ténèbres, Libar M. Fofana 20230510


Dans la collection "Continents noirs" chez Gallimard, l'auteur franco-guinéen Libar M. Fofana publie son septième livre, Un arc-en-ciel dans les ténèbres.

Le personnage principal, Lansana Camara, est venu en France. Il reçoit une OQTF et doit quitter le pays dans un délai d'un mois. Sa demande d'asile est rejetée. La Guinée n'est pas un pays en guerre et il n'y a pas de critères qui lui permettraient de rester sur le territoire français.
Lansana est démuni. Il n'a pas d'argent, ne mange pas à sa faim. Il partage un misérable appartement avec l'Africain Baïlo, musulman si pratiquant qu'il en a le stigmate sur le front. Lansana est aussi très étroit d'esprit, et sa situation le rend aigri. Dès le début du livre, on voit qu'il est homophobe, sans raison, bien sûr, mais il déteste les pédés (la question des lesbiennes est vite réglée : elles ne le gênent pas, elles ne présentent pas de danger, elles amusent...). La discussion s'engage entre lui, Baïlo (ultra homophobe aussi) et Zahid qui, au contraire, essaie d'expliquer à ces deux Africains que leur haine n'a pas de fondement.

Un jour, Lansana répond à une annonce de rencontre lue sur les murs des toilettes. Il a rendez-vous avec Alexandre, un jeune et beau gay qui comprend tout de suite que Lansana n'est pas du tout de son bord. Pourtant, il plaît à Alexandre, et celui-ci le présente à son groupe d'amis. L'idée d'entrer en contact avec des gays est venue à Lansana en voyant un reportage à la télévision : un Guinéen sans papier, comme lui, est soutenu à Lyon par un groupe d'activistes gays. Lansana trouve injuste qu'on défende un pédé alors que lui, personne ne l'aide...
Le roman nous montre comment, progressivement, au contact de ce groupe d'amis gays, le regard de Lansana va se transformer. C'est un personnage qui est vraiment détestable, qui met longtemps à comprendre et à devenir un peu attachant. Sa haine des homosexuels est si viscérale que le lecteur croit son cas désespéré. S'il passe du temps avec des pédés (Alexandre et ses amis), c'est seulement parce que, grâce à eux, il peut manger (quand il va à des apéritifs, à des soirées...) ; il a peur en plus qu'Alexandre essaie un jour de le toucher. Cela le terrifie et le dégoûte. On a donc la panoplie de l'homophobe irrécupérable.
Tout change le jour où il subit une agression alors qu'il sortait d'une soirée chez un couple du groupe. Agressé lui-même en tant qu'homosexuel, son regard va peu à peu se modifier...

Autour de Lansana, on trouve d'autres personnages, comme Henriette, une vieille dame qu'il aide à porter ses courses ; mais, au premier abord, sans qu'on n'en ait jamais la preuve dans le récit, Lansana décrète qu'elle est juive et a un a priori négatif contre elle (on ne doit pas fréquenter les pédés, selon Baïlo, mais les juifs non plus).

Le roman Un arc-en-ciel dans les ténèbres ne cache pas l'obscurantisme des esprits pétris de religion : chez les gens comme Lansana, on n'aime pas les doulis (gays en guinéen) par principe, on les rejette du groupe et de la famille. Le bigot musulman Baïlo, colocataire de Lansana, n'évoluera pas du tout. Au nom d'Allah, on ne peut pas fréquenter des doulis, c'est haram, comme manger du porc :


"Or Baïlo voyait une disposition bienveillante envers les gays comme une vulnérabilité dangereuse, une faiblesse inacceptable pour un musulman."


Il reproche ses changements à Lansana :

"Toi beaucoup sangé. Mais vieille pite pas devenir vierge encore."

L'homophobie, comme d'autres haines ou rejets, vient du fait de se tenir loin et de ne pas connaître celui qu'on rejette. Lansana tente de le faire comprendre à Baïlo : c'est par sa méconnaissance de l'autre qu'il peut cultiver cette haine... et cette haine lui permet aussi de renforcer ses propres convictions, de se croire un bon musulman.
On peut s'interroger sur la part autobiographique de ce livre : Lansana est Guinéen ; il vit à Marseille, comme l'auteur, et partage la même initiale que celle du prénom de Libar M. Fofana. L'auteur voulait-il montrer l'évolution de son propre regard sur l'homosexualité ? Ou, au contraire, mettre en scène une sorte de double pour témoigner de ce qu'il a pu entendre et voir autour de lui ? En tout cas, le récit (qui comprend des subjonctifs imparfaits qu'on remarquera !) sonne vrai ; il échappe à la caricature car l'homophobie, malheureusement, n'est pas caricaturable.


Céline Maltère


Un arc-en-ciel dans les ténèbres, Libar M. Fofana, Gallimard, 11 mai 2023.
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