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Le rabbin congelé, Steve Stern (2022) Empty Le rabbin congelé, Steve Stern (2022)

Mar 20 Déc - 7:42
Le rabbin congelé, Steve Stern (2022) Le-rab10


Le rabbin congelé de Steve Stern vient d'être réédité, 12 après après sa première publication, aux éditions Autrement. C'est l'histoire d'une famille à travers trois siècles, de l'époque des pogroms en Pologne jusqu'à nos jours, celle des Karp, composée de Julius, Yetta et de leurs deux enfants. Bernie, l'adolescent qui passe son temps vautré sur la canapé, fait un jour, dans le congélateur au sous-sol, une drôle de trouvaille : un rabbin décongelé ! La coupure d'électricité a ramené à la vie ce sage qui, lors d'une longue méditation en 1889, n'a pas vu le déluge l'emporter et a fini congelé dans un lac.
Cette découverte entraîne le lecteur dans l'histoire du  rabbin, que sa famille se transmet de génération en génération, à travers des chapitres qui alternent entre le passé et le présent (Bernie lit les mémoires de son grand-père Ruben) : Rabbi Eliezer Ben Zephyr s'accommode très bien de cette époque dans laquelle il vient de se réveiller car, à peine sorti de son coma de plusieurs siècles, il fonde, avec l'aide de son arrière-arrière......... petit-fils, la Maison de la Lumière, une sorte de secte dont il devient le gourou, choyé par de belles femmes et dispensant son savoir à ses adeptes.

Les deux trames, qui se rejoignent, montrent l'évolution d'une famille polonaise, et celle du jeune Bernie, devenu un garçon que l'apparition de cet aïeul va révéler à lui-même.
Les personnages loufoques et hauts en couleur rendent ce récit vivant et passionnant : du jeune Salo Engelures, héritier du rabbin congelé à la mort de son père, jusqu'au presque minable Julius Karp, père de Bernie, le lecteur découvre un monde rempli d'imagination et de drôlerie, de situations burlesques. Et tout cela est très érudit, car c'est aussi le destin d'une famille juive qui est racontée : des persécutions du XIXème siècle en Europe de l'Est à la fondation de l'État d'Israël. Chaque personnage s'inscrit à sa manière dans l'histoire (le crack boursier de 1929, l'arrivée des premiers immigrants en Palestine britannique...)

Les deux personnages les plus touchants sont, selon moi, les arrières-grands-parents de Bernie : Jochered, jeune fille devenue orpheline, sans un sou, fuit la Pologne, profitant de l'occasion que lui offrent des trafiquants de caviar (la planque sera le cercueil du rabbin congelé) pour gagner l'Amérique. Arrivée à Ellis Island, elle se fait voler l'argent de son trafic ainsi que son héritage (le rabbin). Prisonnière de sa double identité, elle est Max, jeune homme au caractère très différent de Jochered, qui rencontre un autre personnage étonnant, l'un des plus savoureux du roman : un inventeur fou et bossu, Schmerl Karp, émigré lui aussi, capable de fabriquer des machines aussi improbables les unes que les autres. Sur le bateau qui le conduit aux USA, il remarque ce jeune homme étrange, qu'il retrouvera plus tard et avec qui il deviendra ami et associé. Pour protéger le trésor de Jochered (qu'il croit toujours être un homme), il invente une machine à fabriquer de la glace, qui sera à l'origine de sa fortune puisqu'elle lui permet de créer une immense entreprise.
Les scènes les plus prenantes sont celles qui mettent en scène ce bossu et cette femme travestie en homme, ancêtres pétillants du jeune Bernie, et en particulier les moments où Schmerl sent grandir en lui des sentiments pour Max, se demandant comment il peut tomber amoureux d'un homme (sa religion ne le lui permet pas) et où, quelque peu éméché, il s'apprête à lui avouer sa flamme lors d'un dîner en tête-à-tête. Au moment de la déclaration, Max/Jochered, plein de culpabilité et contre toute attente, se dénude devant lui. Le savant fou a réalisé l'impossible :

"Par la simple force de son désir, il avait réussi à métamorphoser son compagnon adoré en la femme de ses rêves".

On ne s'ennuie pas une seconde (peut-être que les dernières pages traînent un peu en longueur, en comparaison de la force imaginatives du reste). L'hérédité pèse sur cette famille et tous, aussi différents les uns des autres, tentent d'en faire quelque chose.
Steve Stern mène son récit avec beaucoup d'habileté, le truffant de mots en yiddish qui lui donnent une vraie couleur locale. Il explique, à la fin, que Bernie est l'adolescent qu'il a été à Memphis, celui qui ne connaissait pas ses racines et qui a finalement décidé, par le hasard des circonstances, de les découvrir et de les explorer.

Roman fleuve et saga, ce livre dénonce aussi avec humour (par son ton, il m'a fait penser à L'espoir, cette tragédie de Shalom Auslander) les travers humains.  Une bonne lecture d'hiver !

Le rabbin congelé, Steve Stern, Autrement, 2022.
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