"Dompter le soleil" (Miguel Bonnefoy, L'Inventeur, 2022)

Miguel Bonnefoy, L'Inventeur, Rivages, 2022, 199 pages, 19,50 euros

Il fallait l'écriture solaire de Miguel Bonnefoy pour mettre en lumière Augustin Mouchot, cet homme obscur que l'histoire n'a pas encore retenu, mais qui, à la suite de Buffon, Saussure et Lavoisier, a tenté de dompter le soleil. En nos temps carbonés qui, par bien des aspects, ressemblent à ceux de la révolution industrielle, il n'est pas inutile de rappeler que les recherches sur l'énergie solaire, graal encore à conquérir, ne datent pas d'hier. Sans remonter aux miroirs ardents d'Archimède, Miguel Bonnefoy a exhumé une personnalité oubliée, à la gloire déjà vacillante à son époque, dont la quête inspire autant que la sombre destinée. En 1825, dans l'atelier de serrurerie de son père, naît Augustin, un être chétif et "déjà épuisé de vivre". Décharné, myope, continuellement malade, il ne connaît guère la lumière du jour que pour faire sécher ses dartres au soleil. Chauve à dix-sept ans, vieillard à vingt, il a "cette fragilité endurante qu'on trouve chez les hommes voués à une mort précoce et que, pourtant, rien ne tue". Augustin révèle très tôt des facultés impressionnantes de calcul mental, qui le conduiront à l'enseignement des mathématiques dans des écoles de Bourgogne. C’est alors que son destin bascule. Envoyé à Alençon pour une suppléance, il prend possession de l’appartement d’un colonel passionné de science, mort écrasé contre sa bibliothèque remplie d’ouvrages scientifiques. Alité pour une congestion pulmonaire, Mouchot profite de sa convalescence pour parcourir les livres, et se prend de passion pour la chaleur solaire. Il décide de reproduire la marmite solaire de Saussure, lutte contre les échecs, transforme son appartement en laboratoire et finit par créer l’héliopompe, dont il dépose le brevet : « Il comprenait maintenant pourquoi il s’était entêté à survivre, à résister à tout, pourquoi il s’était agrippé à la vie avec autant de ténacité et de persévérance : il était un homme de l’ombre tourné vers le soleil au milieu d’un siècle lumineux tourné vers le charbon ». Comment faire connaître sa machine ? Suivant les conseils du météorologue Maurice de Tastes, il doit, pour vaincre le soleil, convaincre les hommes…

Dans ce récit, qui sert de première pierre au monument à dresser à Augustin Mouchot, Miguel Bonnefoy a changé sa manière : aux sagas exotiques et poétiques, il a préféré le roman biographique ; son imagination fougueuse et foisonnante a laissé la place à la recherche, non pas pour livrer une monographie, mais pour essayer un autre genre d’invention. Reconstituer, de manière vraisemblable et intéressante, la vie statique et sans grand relief d’un scientifique, donner une âme à un homme, combler les vides d’une biographie lacunaire, voilà un travail auquel l’auteur de Sucre noir ne s’était jamais attelé. Pour déroutant qu’il puisse paraître à ses lecteurs fidèles, L’Inventeur les surprendra par les allusions à ses précédents romans, Héritage et Le Voyage d’Octavio, dont on retrouve, de manière anecdotique, certains personnages, mais aussi par la beauté des pages algériennes, au sommet du mont Chélia, qui montrent d’une façon si belle le destin de ce nouvel Icare, génie illuminé sorti, pour son malheur, de l’ombre… SM