Nos âmes la nuit, Kent Haruf (2016)

C'est l'histoire d'une proposition peu classique : une veuve de soixante-dix ans demande à son voisin Louis s'il accepterait de passer ses nuits avec elle. Elle a du mal à s'endormir, la solitude lui pèse et elle aimerait avoir quelqu'un auprès d'elle pour discuter. On peut s'attendre à ce qu'une telle proposition paraisse incongrue et qu'on lui oppose un refus. Mais non : Louis dit oui à Addie et cette belle habitude de se rejoindre chaque soir s'installe. Dans le noir de la chambre, se tenant la main, ils se racontent leur passé et tissent doucement une relation d'un genre nouveau.
Le voisinage remarque l'arrivée de cet homme le soir chez Addie Moore. On cancane, on juge, ça ne se fait pas, ce n'est pas correct... Et la première de la famille à faire la leçon, c'est la fille de Louis, Holly : elle lui reproche de se comporter comme un adolescent, les voisins parlent... mais Louis est ferme et lui répond que cela lui plaît comme ça. D'ailleurs, depuis le début du roman, Addie tient ce même discours : elle n'est pas arrivée à soixante-dix ans pour vivre en fonction du regard des autres.
Mais quand le fils d'Addie s'en mêle, c'est plus violent... et il en vient à exercer un chantage affectif sur sa mère.

Personne ne se demande ce qui se passe entre eux car, s'il la rejoint, c'est pour coucher avec elle, tout cela est clair pour tout le monde. Or tous les deux prennent leur liberté, leur temps, construisent une relation qui ne ressemble pas aux autres, hors mariage... et sans sexe, jusqu'à ce que... la nuit et l'envie les rapprochent encore.

Le roman est écrit très simplement, avec des dialogues sans guillemets ni tirets. Il dégage une impression de calme, de vie qui s'écoule, de bonheur et de tendresse. Les conventions sont fortes, la pression du regard d'autrui aussi... et les enfants des protagonistes, âgés de plus de 40 ans tous les deux, pèsent dans l'histoire. Une mère, et qui plus est grand-mère, doit correspondre à l'image qu'on s'en fait. Être fidèle à son veuvage est la condition pour être une femme bien, tout comme vivre dans la solitude, aider ses voisines, s'occuper encore et toujours des autres. Mais il suffit qu'un petit désir de liberté se montre pour que le monde de ces autres s'écroule.
Pour vivre heureux, vivons cachés? Et plus familièrement : de quoi je me mêle, aussi?
L'égoïsme des enfants devenus adultes est toujours difficile à croire. Ce comportement rappelle celui de la fille dans le film Deux, fille qui n'accepte pas que sa mère vive avec une femme (alors que la situation dure depuis vingt ans).




À croire qu'il est interdit d'être libre et d'aimer passé un certain âge, et que l'image de soi qu'on a construite compte plus que ses émotions et son désir de liberté. Mais est-ce vraiment une question d'âge? La pression est sur les femmes, plus généralement. Dans le film The Duchess, on voit aussi comment la liberté d'une femme est entravée par un mari (qui la trompe ouvertement et sous son toit) : si elle vit son histoire avec son amant, il la privera de ses enfants. On a une scène poignante où elle se sépare sous la contrainte de son nouveau-né, fruit de sa passion avec cet amant.



Au-delà de l'âge et du sexe des personnages, on se dit que cette histoire racontée dans Nos âmes la nuit est finalement bien banale et que les conventions seront toujours plus fortes que le courage et la liberté.