Stéphanie des Horts, Les Heureux du monde (2021)
Mar 27 Juil - 20:42
Stéphanie des Horts, Les Heureux du monde, Albin Michel, 2021
Paris, Cap d'Antibes, années 1920. La volupté semble éternelle, organisée, créée, inventée même par Sara et Gerald Murphy. "Tant de fêtes", écrira Scott Fitzgerald qui, avec sa femme Zelda, les Picasso, les MacLeish, les Dos Passos, forment le cercle proche de ces faiseurs de bonheur. On suit, avec une joie gourmande, les excès de la génération perdue. Stéphanie des Horts, dès le début de cette biographie collective romancée, place le lecteur au milieu de l'effervescence : le dialogue, avec sa vivacité et son absence naturelle d'organisation, domine dans les premiers chapitres. Comme un poisson solidement ferré par Hemingway qui, en entrant dans la vie des Murphy, fait partie des principaux personnages de ce roman, le lecteur est pris, immédiatement. Il a beau connaître l'existence tumultueuse des Fitzgerald, savoir ce qu'ont été ces soirées où se croisent Gertrude Stein et Cole Porter, il est séduit par les détails et la précision avec laquelle Stéphanie des Horts a composé son récit. S'il y manque une certaine rigueur de la biographie, aucune raideur dans la manière d'écrire, simple, fluide et entraînante. On suit avec passion le destin de ces "heureux du monde", leur démesure, leur hybris... Tant de fêtes, tant de failles... On dirait que la vie se venge de ce bonheur démonstratif, de ces familles tantôt bancales (celle des Fitzgerald), tantôt solides (celle des Murphy). Argent, fêtes perpétuelles, maisons splendides, pêches miraculeuses et chasses au trésor, tout concourt à un bonheur sans fin. Mais l'éternité n'existe pas et le destin demande des comptes. Scott sombre dans l'alcool et la déchéance, Zelda devient folle, Hemingway ressent la vacuité de l'existence à en crever... Quant aux Murphy, ce couple parfait, cette famille parfaite, quelle tragédie !... Trois enfants, deux garçons, (Baoth et Patrick), une fille (Honoria), de splendides jeunes gens faits pour le bonheur, une soif de création (Gérald peint, écrit, invente des cocktails), Sara, traînant tous les cœurs après soi, est la muse de tous ceux qu'elle croise, elle rayonne, hâlée par le soleil de la Garoupe, tout cela balayé en deux années fatales. Les pages qui dépeignent leur tragédie finale sont superbes, et l'on sent, par l'émotion qu'elle procure au lecteur, à quel point il a dû être difficile pour l'auteure de partager les malheurs des Murphy, à qui elle rend un bel hommage par ce livre. Le roman se termine comme débuterait un conte, et l'on voudrait bien croire que les vies des "heureux du monde", au pays des merveilles, ne s'arrêtent jamais. Un ouvrage essentiel pour vivre ces années folles et comprendre à quel point les Murphy ont été le rouage essentiel de toute une génération de génies. (SM)
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