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Quand le Grand Meaulnes a-t-il rencontré Yvonne de Galais ? Empty Quand le Grand Meaulnes a-t-il rencontré Yvonne de Galais ?

Mer 16 Juin - 16:21
Quand le Grand Meaulnes a-t-il rencontré Yvonne de Galais ? 81ipsk10

Une petite énigme chronologique, avec une solution possible

Indéniablement, Alain-Fournier a composé, en 1913, un des plus poétiques incipits romanesques avec son inoubliable introduction du Grand Meaulnes, en une phrase : « Il arriva chez nous un dimanche de novembre 189* ». Mais de quelle année, parmi les dernières du XIXe siècle, pourrait-il s’agir ?
L’édition complète des œuvres d’Alain-Fournier, celle des Classiques Garnier parue en 1986, propose comme réponse la date de 1891, car donnée dans les brouillons. Cependant, le roman fait ensuite référence à un « samedi 13 février », qui, replacé dans sa chronologie interne, trouverait sa place en 1893. Or en 1893 le 13 février était « dans la réalité » un lundi.
Ayant constaté ceci, deux attitudes sont possibles. L’une, adoptée par la majorité des spécialistes, considère que les indications chronologiques du roman sont affectées d’imprécision et donc purement qualitatives, et ne servent qu’à illustrer l’écoulement irréversible du temps destructeur. L’autre, probablement moins fréquente, consiste à considérer ces indications comme « factuelles » et à examiner leurs conséquences. Bien entendu, l’hypothèse importante est faite que le temps de la narration est celui du monde réel.
On se propose d’adopter cette deuxième attitude, c'est-à-dire, plus exactement, de suivre le « jeu de piste » proposé par le texte. Attention : il est vraisemblable que l’auteur n’a pas eu l’intention d’élaborer un tel jeu - voir plus loin.
La version publiée du roman occulte donc la date exacte du début de l’action sous la dénomination « 189* ». Les seules dates complètes fournies dans le récit, à savoir celles figurant (au Chapitre XIV de la Troisième Partie) dans le Cahier de devoirs mensuels, sont effectivement les samedi 13 et jeudi 18 février. L’examen des calendriers de la décennie 1890  montre que les années 1892 et 1897 sont les seules à comporter ces quantièmes respectivement un samedi et un jeudi ; dans le roman, la troisième année de l’action (celle durant laquelle Meaulnes fréquente Valentine puis retrouve Yvonne de Galais) serait donc soit 1892, soit 1897. Un élément supplémentaire permet une identification complète : Augustin Meaulnes a rédigé quelques pages dans ce cahier au tout début d’avril de la deuxième année, juste avant son départ de Sainte-Agathe, et ce avant Pâques. Cette fête ayant eu lieu les dimanche 29 mars 1891 et 5 avril 1896, on est conduit à retenir 1896 comme deuxième année de l’action.
L’aventure relatée par François Seurel adulte se déroulerait donc entre novembre 1895 et septembre 1899. On notera que François Seurel est donné comme âgé de quinze ans lorsque Meaulnes arrive à Sainte-Agathe ; avec cette hypothèse, il serait donc né en 1880, année également parfois invoquée, à propos de la Recherche du Temps perdu de Marcel Proust, comme étant celle de la naissance du Narrateur ! Cependant, il est peu vraisemblable que Seurel puisse être nommé instituteur à 17 ans, comme l’indique Alain-Fournier…

Pour chronologie interne du Grand Meaulnes, on peut donc proposer celle donnée dans le tableau suivant. Cette séquence est totalement cohérente avec les indications du texte, à l’exception de la date de la « partie de plaisir », donnée à « fin août » ; début septembre serait plus vraisemblable.
Quand le Grand Meaulnes a-t-il rencontré Yvonne de Galais ? Gm_tab10

Voici quelques commentaires à propos de ce tableau :
(a) Ou le 17 ; vers fin novembre en tout cas.
(b) Environ 8 jours avant Noël (mercredi 25 décembre 1895), et un mardi, jour où le boulanger aurait dû passer dans la ferme où Meaulnes fait halte.
(c) Il semble douteux que les élèves de M. Seurel aient cours un 25 décembre, comme ce serait le cas si 1891 était bien la première année de l’action …
(d) En 1897, il serait effectivement vraisemblable de trouver, dans l’ancienne mairie, des affiches jaunies aux effigies des présidents  Grévy et Carnot.
(e) Date estimée (la seule qui ne soit pas en accord avec le texte)
(f) Les fiançailles n’ont donc pas duré tout à fait 6 mois
(g) Le dernier dimanche de septembre avant la rentrée des classes


D’autres approches

Une démarche similaire a dû être suivie par J.G. Albicocco dans son film de 1967, car la séquence de la « fuite » comporte un plan sur le tableau noir de la classe de M. Seurel, où est inscrite à la craie la date du jour : mardi 8 décembre 1896 ; et la visite à la maison de Frantz y est précédée par un plan sur le tableau noir de la classe de François indiquant « février 1899 ». Il s’agit donc (à peu de choses près) de la même séquence temporelle que dans le tableau précédent, mais décalée d’un an.
Probablement, pour justifier ce choix, J.G. Albicocco s’est également appuyé sur la date de la rencontre de Meaulnes avec Valentine. En effet, on sait que dans la réalité Henri Fournier (le vrai nom d’Alain-Fournier) a rencontré Jeanne Bruneau, modèle de Valentine Blondeau, le samedi 12 février 1910. Construisant alors son roman, l’auteur a incorporé cette date dans sa fiction, en la modifiant légèrement (certains critiques parlent d’erreur non rectifiée – voir en particulier  l’édition Garnier 1986 déjà citée)  en samedi 13 février. Or le 13 février tomba un samedi en 1909, et le calendrier de 1909 est le même que celui de 1897 ; il est possible qu’Alain-Fournier ait construit une trame temporelle cohérente (arbitrairement affectée aux années 1890) sur la base de ses agendas des années 1907 à 1911, années qui comportèrent les mêmes dates que les années 1895 à 1899. Ainsi l’adéquation parfaite de la séquence temporelle romanesque des années « 189* » avec un calendrier réel, telle que présentée dans le tableau précédent, ne serait qu’un demi-hasard.  
Et si on suppose que J.G. Albicocco a considéré le samedi 12 février 1910 comme véritable date-repère, un raisonnement identique l’aurait bien amené à dater la deuxième rencontre Meaulnes-Yvonne (lors de la partie de plaisir) en 1898, donc l’arrivée de Meaulnes et la « fête étrange » en 1896.
A contrario, ce genre de considération n’a clairement pas été pris en compte par J.D. Verhaeghe dans sa plus récente version cinéma (2006), la date inscrite au tableau noir, au début du film, étant « septembre 1910 ». Elle permet effectivement de faire mourir Meaulnes-Fournier en septembre 1914, mais est irréaliste, la rentrée des classes étant (sauf erreur) fixée dans ces années-là  au premier lundi d’octobre…

Alain Merlot
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