J'ai un tel désir
Dim 16 Mai - 15:01
Femme à la Colombe, Marie Laurencin et Nicole Groult
Début du XXème siècle, la Belle époque : les artistes, dont Picasso, le douanier Rousseau, Braque, se réunissent au Bateau-Lavoir. C'est l'émulation artistique, l'amitié, les amours et les fâcheries aussi. Guillaume Apollinaire amène avec lui la jeune peintre Marie Laurencin qui intègre le groupe, sous l'oeil méfiant de la femme de Picasso, Fernande Olivier, qui ne l'aime guère.
Marie et Guillaume, peints par Henri Rousseau. La peintre se trouvait grosse et laide sur ce tableau qu'elle n'aimait pas et ne trouvait pas ressemblant.
La biographie de Marie Laurencin commence par sa rencontre avec le poète : leur histoire d'amour est forte et compliquée. Apollinaire ne lui apporte pas vraiment ce qu'elle attend. Elle est au foyer, subit ce qu'on appellerait son "machisme", sans pour autant vivre avec lui. Marie est très fusionnelle avec sa mère Pauline, chez qui elle rentre tous les soirs.
Marie Laurencin
Françoise Cloarec, l'auteur du livre, a donné ce titre à cette biographie de Marie Laurencin, en référence à une phrase écrite pour Nicole Groult par la peintre alors qu'elles sont loin l'une de l'autre, que Marie est réfugiée avec son mari allemand en Espagne durant la guerre de 1914-1918 :
"J'ai un tel désir de voir ton visage dans le plaisir, je pense souvent à cela."
Nicole, peinte par Marie Laurencin
Le livre raconte cette histoire d'amour libre et peu conventionnelle. Nicole (mère de Benoîte et Flora, sœur du célèbre Paul Poiret) est mariée à André Groult. Elle n'est pas très portée sur la chair, et ils n'auront d'ailleurs leurs deux filles que plus de dix ans après leur mariage. Marie, quant à elle, s'est mariée avec le baron Otto von Wätjen, qui ne couche plus avec elle après leur union car "il ne fait pas l'amour avec les gens de sa famille". Toutes deux se rapprochent très vite, sans délaisser leur vie. Les maris ne voient pas d'inconvénient à leur liaison, qui mélange amitié forte, désir, échanges artistiques... Nicole est une grande couturière et mène la grande vie.
Yvonne Chastel
On découvre une Marie Laurencin hors du monde, capable de s'extraire de cette période de guerre tourmentée, de se renfermer sur elle et sa peinture, dans son onirisme personnel. Elle ne ressemble à personne. Elle a des amants, des maîtresses (comme Yvonne Chastel) et elle vit complètement libre, bien que mariée. L'exil en Espagne et en Allemagne la fera beaucoup souffrir. Loin de Paris et de Nicole, elle dépérit, surtout qu'on la prend pour une collaboratrice.
Marie Laurencin, Cecilia de Madrazo
et Nicole Groult, vers 1915
et Nicole Groult, vers 1915
Apollinaire a une personnalité très forte. Il ne se détachera jamais vraiment de Marie :
"Nous ne nous verrons plus sur terre...
Et souviens-toi que je t'attends
Et souviens-toi que je t'attends
Tu seras loin... Je pleurerai
J'en mourrai, peut-être"
(extrait d'Alcools, poèmes "L'Adieu" et "Les Cloches")
On assiste à la mort de ce poète, emporté par la grippe espagnole ; on voit naître le tableau des Demoiselles d'Avignon, on croise Picabia, Gertrude Stein et Alice Toklas, et même Anne Sinclair, petite fille du marchand d'art Paul Rosenberg, qui posera pour Marie Laurencin.
Quand la vie éloigne Marie et Nicole (que le rôle de mère et le succès occupent beaucoup), on peut lire les mots de celle-ci :
"J'ai insiste longtemps devant ta porte, mais ne crains rien, je ne la forcerai plus, car nos rencontres sont des simulacres et je ne trouve rien près de toi ni dans une maison ni dans une autre".
Marie aime aussi écrire des poésies :
"Tous vos amoureux sont partis
Ô Belle vous ne l'avez
Jamais été
Que vous reste-t-il?
Des cheveux presque gris
Et peut-être un rêve"
(1948)
À la fin de sa vie, Marie Laurencin est très célèbre et ses tableaux se vendent à prix d'or. Elle vit avec une suivante, Suzanne Moreau, qui l'accapare (et qu'elle adopte même), faisant le vide autour d'elle. Son entourage trouve très étrange de la voir sortir avec sa bonne. Mais Marie Laurencin n'a que faire de ce qu'on dit sur elle. Cette biographie met l'accent sur sa singularité, sa liberté totale. Personne ne se définit comme lesbienne, hétérosexuel : on vit ce qu'il y a à vivre, au plus près de ses envies et de ses sentiments. Le féminisme se vit à l'échelle des comportements personnels...
Marie Laurencin et Suzanne Moreau, Paris, vers 1941
On pourra retenir ces mots écrits par Nicole à l'une de ses filles, Flora :
"Dès que tu peux ne pas faire une chose, fais-la".
Céline Maltère
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