Le Manoir des lettres
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Dim 11 Fév - 10:00
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Mireille Best (1943-2005) a écrit une poignée d’œuvres publiées chez Gallimard autrefois. La maison ressort, dans la collection L'Imaginaire, ses Mots de hasard, cinq nouvelles préfacées par Annie Ernaux et Suzette Robichon (voir aussi Je me souviens dans la même collection, et prochainement, une interview de S. Robichon dans le numéro 5 de Littératures & Cie).

Ce qu'on sait de Mireille Best par l'article Wikipedia est succinct :

"Issue d'une famille d'ouvriers, elle rencontre à l'âge de 15 ans sa compagne. Sa santé fragile l'empêche de suivre des études normales. Elle travaille dans une usine, puis comme fonctionnaire, ce qui lui permet d'obtenir pour raison de santé une mutation dans le Midi de la France (Fréjus).
En 1980, elle parvient à publier aux Éditions Gallimard Les Mots de hasard, un recueil de nouvelles qui marque le début de sa carrière littéraire.
En 1994, elle signe les dialogues d'un téléfilm, La Fille du roi, réalisé par Philippe Triboit, adaptation de la nouvelle Des fenêtres pour les oiseaux, tirée du recueil Le Méchant Petit Jeune Homme.
Son écriture se signale par un usage singulier de la ponctuation : aucun point-virgule dans aucun de ses livres. De plus, les points et virgules sont là ou pas pour marquer un ralentissement ou au contraire une accélération du rythme du texte, ce qui confère une respiration poétique personnelle à ses œuvres. En outre, ses personnages vivent de manière naturelle leur lesbianisme. "


Mais les deux préfaces de l'édition L'Imaginaire nous donnent beaucoup plus d'informations sur elle, et des plus précieuses car elles portent sur elle un regard intime. Annie Ernaux analyse, de manière plutôt universitaire bien qu'elle ait échangé avec Mireille Best des lettres autrefois, Les Mots de hasard ; elle montre la modernité des textes à la lecture de notre époque. Suzette Robichon nous livre un texte très beau, intime et sensible, écrit "avec tout (son) coeur", sur celle qui fut son amie et dont elle conserve plus de deux cents lettres à l'encre violette, couleur qu'aimait utiliser Mireille Best.

Les deux préfaces nous en disent donc un peu plus sur Mireille, née Lemarchand, qui prendra le nom de famille de sa grand-mère comme nom d'écrivain.

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La lecture des nouvelles des Mots de hasard provoque le choc du coup de foudre ! Son écriture, qui donne l'impression du naturel, montre tout de suite que Mireille Best a du style, un style qui fait penser par certains côtés à celui de Violette Leduc, même si l'écriture est moins foisonnante. Son génie est de parvenir à nous faire sentir ce qui se passe dans la tête des personnages, avec retenue et humour, en faisant appel aussi à la simplicité du quotidien. Le langage, parfois délié volontairement ("Leur connerie d'Honneur Mâle, c'est pas mes oignons") fait rire ; il touche, il vise juste, a ses envolées lyriques (voir la superbe "Femme de pierre"), et c'est une écriture purement féminine, s'il en est. Féministe aussi : les hommes ne sont pas exclus de ses textes, mais ils sont à la marge ; ils vivent avec, autour des femmes, tandis qu'on sent en elles une vie intérieure bien plus bouillonnante que celle que leur condition laisse paraître.
"Le livre de Stéphanie" est un texte incroyable ! Il nous raconte le "burn-out" d'une mère de famille, prise entre ses trois hommes (son mari et ses deux fils). Elle ne trouve même pas le temps de lire le livre que lui a prêté Stéphanie... Stéphanie, cette femme dont elle a réinventé le prénom et dont elle ne peut s'empêcher de penser à la bouche. C'est l'institutrice de son fils, "la maîtresse de ma vie", dit-il, et elle : "Mon fils et moi avons beaucoup de goûts communs". Contre toute attente, et toute mère de famille qu'elle est, elle se sent attirée par elle : mais rien n'est dit de cette manière ! Pas besoin de parler d'homosexualité, d'hétérosexualité : l'amour, le désir suffisent...
La rencontre entre les deux femmes, cette attirance, elles tentent tout de même de se l'expliquer :

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Mireille Best sait faire apparaître les choses sans les écrire noir sur blanc (et sans les enrubanner pour autant), et c'est ce qui fait aussi le charme de son écriture, comme dans "L'illusionniste", où on sent bien ce qui lie Pauline à Maud. Pauline vit seule avec sa fille ; elle passe beaucoup de temps avec le couple Maud et Théo. L'enfant comprend, on le perçoit, ce que sa mère éprouve pour Maud, même si ce n'est jamais clairement dit. Ce désir est impossible : "Je ne peux rien pour toi", dira Maud..., et il suffit de ce genre de phrase pour faire entendre la tristesse :

"Il fait beau, d'une manière bouleversante. Il fait beau pour personne. Ou plutôt il fait beau pour les autres."

Dans "Les mots de hasard", Geneviève, en couple avec une autre, n'arrive pas à faire dire à l’exubérante Julie, qui l'attire depuis longtemps, ce qu'elle est pour elle.

"La femme de pierre" est une histoire d'amour et de désir impossible : la meute s'acharne sur une statue, veut la détruire par tous les moyens, et une jeune femme tente de la sauver. Sous ses caresses et comme dans le mythe de Pygmalion, la statue prend vie. La jeune femme lui dit qu'il faut partir... mais l'impossible amante retrouve sa nature de pierre.

"Je saignais de partout. Je chialais de partout. Parce que rien ne servirait à rien, jamais, jamais, jamais. Ni la douceur, ni l'obstination, ni le raisonnement, ni l'imagination, ni la petite dose de cran dont j'étais capable..."

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Elles sont seules contre le reste du monde... et quelle métaphore !


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On pense aussi forcément au fou et à la Vénus, poème de Baudelaire.
Les dernières lignes sont d'une beauté désespérée : il se pourrait qu'un jour, la narratrice aille la rejoindre au fond de l'eau.

L'écriture est faite aussi d'éclats de poésie :

"Pour avoir de la patience. Quand j'ai bu je suis patiente. Comme un caillou. Comme un arbre. Il n'y a pas plus patient qu'un arbre !"

("I'm patient as a tree" dans la chanson "Bagdad" de Rodolphe Burger...)

Ou encore cette phrase (si belle que j'en ai fait l'exergue de ma nouvelle "Rats des rêves") :

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Quelques pages sur l'hétérosexualité (non nommée) nous font sourire et veulent tout dire (c'est la copine d’enfance qui parle à Geneviève dans "Les mots de hasard") :

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Ou encore la révolte de la femme au foyer :

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"La lettre" qui clôt le recueil raconte avec tendresse la solitude d'une vieille femme. Valentine vit seule avec son chien depuis que Joseph est mort et que le Petit a quitté la maison, ce garçon, son petit-fils, qu'elle a élevé depuis la mort de sa fille dans un accident. Son quotidien tourne autour de la lettre : celle qu'elle attend du Petit et celle qu'elle lui écrit. Elle va plusieurs fois par jour vérifier s'il n'y a rien dans la boîte et si le facteur est passé, accompagnée de son chien, son fidèle compagnon à qui elle parle parfois comme à un vieil époux. Mais la lettre ne vient pas... malgré les promesses d'écrire chaque semaine. Valentine écrit son brouillon, elle qui n'en écrivait jamais puisque la lettre traduit l'instantanéité de la pensée : mais il faut mesurer ses mots, surtout depuis que le Petit est avec Josette, qui lit aussi ses lettres et lui a demandé un jour, à demi-ironique, si elle n'était pas "un peu poète". La dernière page, la dernière phrase de ce texte sont foudroyantes ; et on se demande comment Mireille Best, avec apparemment une économie de moyens (apparemment seulement), parvient à nous toucher aussi profondément, comme elle l'a fait dans "Le livre de Stéphanie", on l'on comprend que la narratrice, Andrée, plus que troublée par l'institutrice, ne quittera jamais sa vie, et que le livre prêté restera toujours fermé. Le temps d'un week-end où mari et fils étaient absents, elle entrevoit une vie tout autre, tentante, qui aurait pu être la sienne, fait l'amour avec cette jeune femme qu'elle désire et adopte le petit boxer qu'elles sont allées chercher ensemble, une vie qui ne lui ressemble pas et qui est pourtant au plus près de ce qu'elle est :

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... cette vie aperçue qu'Andrée ne vivra jamais, car elle est mère de famille et que son devoir est ailleurs. C'est d'une tristesse infinie, encore plus parce que c'est dit sans éclats de larmes, sans recours à de grands mots.

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On aime aussi la présence des chiens dans ces textes : c'est celui que désire une petite fille et que sa mère lui refuse sous de faux prétextes ; c'est celui que s'autorise à prendre avec elle Andrée contre l'avis de son mari, ce "Bébé bleu" qu'elle a choisi avec Stéphanie, ou le chien fidèle de Valentine. Le chien, c'est le rêve de présence. Et quand Stéphanie rend une ultime visite à celle qu'elle aime, elle lui parle à travers le chien : "Tu m'as manqué tu sais..."
L'édition de L'Imaginaire nous offre d'ailleurs une belle photo de Mireille, de sa compagne Jo et de "leur chienne adorée", Léa (1987) :

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Mireille Best raconte la solitude, la désillusion, le renoncement, utilise le non-dit, le silence pour dire encore plus. De la retenue, du désir, des femmes qui s'aiment, des femmes qui parlent, qui ne se cachent pas, qui se racontent, qui dénoncent aussi sans militantisme, mais en vivant leur vie comme elles l'entendent, naturellement. Par des petites phrases placées dans le récit, on comprend toute la sensibilité de Mireille Best :

"Le rire des femmes, c'est le rempart universel contre l'univers agresseur."

Elle dit l'amour et le désir en ces termes ("Le livre de Stéphanie") :

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La parole se remplit d'air et devient silence, au moment des adieux, et même au moment d'avouer ses sentiments. L'irréalisable se niche dans "un jour"...


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L'édition 2024 nous offre aussi des fac-similés de ses manuscrits et quelques photos de l'auteur. Les deux préfaces ne sont pas de la même teneur. Annie Ernaux écrit :

"Dans une de ses premières lettres : "J'écris pour les femmes. Ou pour les lesbiennes." Aujourd'hui, je lui répondrais que non. Elle a écrit pour tout le monde."
Je dirais non, Annie Ernaux. Il faut rendre aux lesbiennes ce qui leur appartient. Il n'est pas sûr que tout le monde, justement, puisse être sensible à la prose de Mireille Best. Car c'est une écriture qui s'éprouve. Et je préfère les mots de Suzette Robichon, à la fin de sa préface :

"Mireille, tu écrivais à l'encre violette. En relisant tes lettres, j'imagine le mouvement régulier de la main, du poignet. Cet aller et retour effectué avec régularité sur les feuilles A4 n'est peut-être pas totalement étranger à ce sens de l'ellipse qui t'est si spécifique. En astronomie une ellipse est une courbe, les tiennes traversent celles qui écrivent à l'encre violette."

Les mots de Mireille Best sont bien pour celles qui écrivent, et lisent, à l'encre violette...
   Hymne aux Murènes, Paris, Gallimard, 1986
   Camille en octobre, Paris, Gallimard, 1988
   Il n’y a pas d’hommes au paradis, 1995
   Les Mots de hasard, Paris, Gallimard, 1980 et 2024
   Le Méchant Petit Jeune Homme, Paris, Gallimard, 1983
   Une extrême attention, Paris, Gallimard, 1985
   Orphéa trois, Paris, Gallimard, 1991



Céline Maltère
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