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"Ni queue ni tête", Rien qu'une bête, F-O Giesbert Empty "Ni queue ni tête", Rien qu'une bête, F-O Giesbert

Sam 12 Juin - 10:06
"Ni queue ni tête", Rien qu'une bête, F-O Giesbert 97822210





Un septuagénaire célèbre, Charles Aubignan (le double de Franz-Olivier Giesbert qu'on ne peut s'empêcher d'imaginer tout au long du roman, même dans les pires moments) fait la connaissance de Laura et Patrick Glostrob lors d'une manifestation pour la cause animale. Ils sont végétariens (Patrick, vegan) et, en discutant lors d'un dîner, tous trois admettent que le grand public reste insensible aux conditions dans lesquelles sont tués et élevés les animaux, et ce malgré les campagnes choc de L214.
Ils ont alors une idée lumineuse (idée qui vient de Charles) : dans le but de faire prendre conscience de la souffrance des bêtes, pourquoi ne pas agir de même avec un être humain, filmer ce qu'on lui inflige, puis le diffuser?
Mais qui tiendra ce rôle de l’animal ? Charles, qui est tombé sous le charme de Laura, se propose. Oui, il est prêt à prendre la place d'un porc d'élevage (pour la cause, et pour les beaux yeux de cette femme...).
Tous les trois signent un contrat afin de protéger le couple d'éventuelles poursuites : Charles Aubignan a donné son consentement. Il arrive chez eux, à la campagne, avec une grosse somme d'argent et un tableau très cher pour mettre à l'abri les Glostrob de tout souci financier.
 
Les choses commencent par un bistournage : Patrick fait mettre nu Charles, lui malaxe les testicules jusqu’à l’écrasement. Cela évite de le castrer (alors que les cochons le sont la plupart du temps à vif)  — la pratique du bistournage, cruelle, est utilisée sur les taureaux en Camargue. Charles comprend très vite qu'il s'est lancé dans l'irréversible et qu'il est maintenant à la merci du couple. Placé dans un endroit très étroit, il sera gavé régulièrement : son estomac doit s'élargir, il faut qu'il ne devienne plus qu'une faim et qu'un ventre, un être qui obéit à la loi de la carotte et du bâton.
On se retrouve donc dans l'enclos tout petit de cet homme qui passe son temps à manger et à digérer, à engraisser, homme qu'on va aussi priver de la parole et tenter de déshumaniser. Le lecteur assiste à des scènes difficiles (que certains ne supporteront pas). Charles sait désormais qu'il va finir sous le couteau de ses éleveurs. Il se révolte, essaie de s'en sortir... Mais il n'est "rien qu'une bête", que Laura flatte souvent en lui faisant croire à son désir, et que Patrick méprise.
 
L'idée est bonne, et c'est elle qui m'a donné envie de lire le livre, tout comme l’avertissement qui touche le lecteur sensible à la cause animale :
 
« Il n’est pas de jour où je n’ai honte de faire partie de l’espèce humaine. Quand je hume, avec des haut-le-cœur, des odeurs de viande brûlée, quand, à la campagne, je contemple des herbivores destinés au couteau raser les prés avec délicatesse, quand je passe en voiture à côté d’un abattoir, quand je songe aux holocaustes de bébés bêlants ou beuglants, destinés à remplir les panses de mes semblables.                
Nous sommes à vomir. Tout en prétendant surplomber le monde vivant depuis un piédestal imaginaire, notre espèce continue de vivre dans les fanges de son commencement en se gavant de cadavres avant de curer ses dentures pour en extraire les filaments sanglants.
Rien n’a changé depuis les fulminations de Plutarque qui, après Pythagore et Bouddha, s’indignait que les animaux humains puissent oser « tuer, écorcher, démembrer » des animaux non humains et porter à leur bouche la « chair meurtrie » d’une « bête morte ».
Avec ce livre où je vous raconte mon histoire, j’ai essayé de dire l’indicible et de nommer l’innommable. »
 
Cette honte affirmée d’être humain, l’expression de cette supériorité supposée de l’homme sur l’animal en tête d’ouvrage nous invitent à une lecture engagée… mais ce livre ne tient pas toutes ses promesses, malheureusement, et pour diverses raisons :
 
D'abord, psychologiquement, des éléments ne tiennent pas. Comment des végétariens/vegans se transformeraient-ils tout à coup en sadiques incontrôlables? Torturer, éviscérer deviennent des plaisirs (et si Charles est justement réduit à être un animal, comment les défenseurs de cette cause peuvent-ils se changer eux-mêmes, et aussi vite, en bourreaux...?). On comprend l'intention, mais, au final, cela dessert un peu la cause à défendre, car on se dit :  ah oui, ces végétariens, ils sont capables du pire sur les humains (on aimerait donc les bêtes, mais pas les hommes, vieille idée répandue). Il aurait mieux valu, comme postulat, faire kidnapper Charles Aubignan par des psychopathes, pour placer d'emblée le livre dans cette ambiance de thriller. Au lieu de cela, on garde un arrière-goût d'incohérence.
Dans la même idée, l'auteur montre les autres animaux, comme les chiens du couple, sous un mauvais jour : des bêtes assoiffées de sang. C'est blanc, c'est noir, pas très nuancé. Casser certains clichés sur les animaux aurait été louable.
Enfin, cet avertissement au lecteur, très fort et qui frappe tout défenseur de la condition animale, est anéanti par les derniers mots du livre car, dans les remerciements, Franz-Olivier Giesbert écrit :
 
«Merci enfin à tous ceux qui, dans le monde de la viande, élèvent, transportent ou tuent les bêtes dans le respect et la dignité ».
 
«Tuent dans la dignité ». Rien que cette phrase est... incroyable et pourrait détruire à elle seule le projet. Il n’y avait aucun welfarmisme (courant qui milite pour que les animaux soient élevés dans de meilleures conditions) dans l’avertissement, mais plutôt une radicalité salutaire, une émotion sincère. Comment écrire que le cœur se serre à la vue d’une vache dans un champ parce qu’on sait qu’elle est destinée à l'abattoir et parler de mourir dans le respect et la dignité? Elle sera tuée, quelle que soit la façon ; sa vie se résumera à préparer de la viande pour les hommes. Certes, on peut militer pour le « moins pire » : mais autant, par le biais de la fiction et du roman qui permet bien des audaces, aller au bout de sa pensée et ne pas prendre de trop de gants avec ce qu’on combat.
 
L’idée originale aurait pu être bien plus détonante… Malgré les quelques réserves sur ce roman, on sait que les intentions de Franz-Olivier Giesbert  sont bonnes et on ne peut que lui pardonner ces erreurs. Le livre se dévore avec plaisir (et horreur aussi) parce que l’auteur sait raconter des histoires et nous tenir en haleine. Des passages intéressants rappellent le livre L'animal est une personne (2014), texte d’utilité publique dans lequel Franz-Olivier Giesbert rend hommage aux animaux en narrant, dans chaque chapitre, l'histoire d'un animal de sa vie.
L’été arrive. Une suggestion pour passer un moment haletant : se mettre sous la dent, plutôt que des brochettes, Rien qu’une bête !
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