Le Manoir des lettres
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Mar 16 Avr - 19:08
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L'auteur anglaise Radclyffe Hall (1880-1943) reste méconnue en dehors du lectorat lesbien. Son Puits de solitude fait partie des classiques de la littérature lesbienne. Dans son projet de faire (re)découvrir des auteurs féministes ou lesbiennes, comme récemment Mireille Best ou Natalie Barney, L'Imaginaire Gallimard publie La Flamme vaincue, roman qui avait été publié en français en 1935, puis en 2009 chez Autrement sous le titre Sous influences. Noémie Grunenwald a revu la traduction de Michel Poirier (on le voit au passage à un "cheffe", à une "professeuse", et sans aucun doute à bien d'autres choses si on doit s'y pencher vraiment).

La Flamme vaincue est un roman extraordinaire : une construction parfaite, une psychologie poussée, des personnages extrêmement bien incarnés. Datant de 1924, il n'a pas vieilli. On a l'impression de lire un de ces superbes romans écrits par Sarah Waters dans les années 2000, et on ne peut pas imaginer que cette dernière n'ait pas été influencée par la littérature de Radclyffe Hall.

Étant ouvertement lesbienne, Radclyffe Hall sait écrire les émotions et sentiments des femmes de son temps, celles qui ne voulaient pas se marier, qui passaient pour des vieilles filles alors qu'elles aimaient les femmes. Elle se définissait elle-même comme "invertie" et est tombée amoureuse de nombreuses femmes. On trouve des similitudes entre la vie de l'auteur et l’héroïne de La Flamme vaincue, entre autres les relations complexes avec sa mère (son histoire avec Mabel Batten, de 25 ans son aînée, présente des traits communs avec celle de Joan et Elizabeth, plus âgée aussi... et Radclyffe Hall se faisait appeler "John"...).


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Ce qui est fort dans La Flamme vaincue, c'est l'impression de vérité, de vécu qui en ressort. Le titre en anglais,The Unlit lamp, "La lampe sans lumière", traduit très bien le contenu de cet ouvrage qui a pour héroïne Joan Ogden. Lorsque le lecteur fait sa connaissance, elle a une dizaine d'années. Elle vit avec sa petite sœur et ses parents à Seabourne, une ville portuaire et ennuyeuse, apparemment inventée. Dès son jeune âge, elle est singulière : elle veut garder les cheveux courts, a une allure de garçon et sait qu'elle ne se mariera pas. Une jeune femme, de dix son aînée, est engagée comme gouvernante. La jeune Joan et Elizabeth tissent alors un lien très fort, qui les pousse à aimer passer du temps toutes les deux et va les conduire à avoir envie de vivre ensemble quand Joan sera en âge de réaliser ce qu'elle éprouve pour elle.
Pas de déclaration d'amour, pas de baisers... mais une complicité bien plus forte entre les deux femmes, qu'on devine dans des mains qui se tiennent, des regards, les pensées de Joan. Anne Pauly, dans sa préface, revient sur cette habileté à raconter les amours et personnages lesbiens :



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Or Joan risque de se laisser enfermer dans sa ville natale si elle laisse trop passer le temps et les occasions de partir. Son ami Richard, amoureux d'elle, la met en garde :

"Ne vous étriquez pas, ne vous engourdissez pas comme quelqu'un qui reste assis toute la journée au coin du feu. (...) J'ai le pressentiment qu'on veut vous encapsuler."

Sous l'emprise d'une mère très possessive, elle ne parvient pas à prendre la décision de s'en aller et de vivre sa vie. Et le roman nous raconte, en cinq parties, comment on peut rater sa vie.
L'image des pieuvres qui se nourrissent des autres est utilisée : elles retiennent de leurs tentacules ceux qu'elles veulent aspirer pour leur bien-être. Dans sa préface, Pauline Gonthier rappelle que Radclyffe Hall a failli appeler son roman "Octopi"...


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Mrs. Ogden est une mère vampire, qui sait très bien utiliser le chantage affectif contre sa fille, incapable de se séparer d'elle :

"[invoquant son mari mort devant Joan] Oh ! James, James, sanglota-t-elle avec frénésie, écoute-la, elle veut s'en aller ! Oh, que vais-je devenir, maintenant que tu m'as quittée ? Que vais-je devenir, que vais-je donc faire ?"

L'image du vampire est d'ailleurs utilisée par Elizabeth, qui tente d'ouvrir les yeux de celle qu'elle aime :

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Radclyffle Hall écrit un livre féministe avant l'heure, avec des réflexions sur la mariage, la condition des femmes.

(En parlant du mariage obligé pour les femmes et de sa relation impossible avec Elizabeth)
"Maintenant qu'elle y réfléchissait, elle n'avait jamais entendu parler d'aucune jeune fille de sa connaissance qui eût mené une telle vie. Il était assez courant  de voir des hommes partager un même appartement et, naturellement, les jeunes filles quittent leur foyer quand elles se marient. Quand elles se marient... Ah ! voilà le problème, c'était cela qui faisait toute la différence. (...) Des siècles de tradition, des siècles de précédents ! Des siècles qui vous étouffent, vous écrasent, vous suffoquent. Si on cède devant eux, on peut espérer vivre tant bien que mal, mais si on cherche à s'y opposer, on se brise contre leurs flancs d'airain. Elle comprit tout cela ; ce n'était pas sa faute ni celle de sa mère. Elles n'étaient que deux fétus de paille auxquels ont demandait de nager à contre-courant de ce flot tyrannique : l'usage établi !"

(Paroles de Mrs. Benson, la mère de Richard, l'ami de Joan)
"Mais, Richard, mon chéri, j'ai bien peur que ce ne soit là le sort des femmes. Une femme n'est vraiment accomplie que lorsqu'elle a trouvé un bon mari, et celles qui n'en trouvent pas ne sont jamais véritablement heureuses. Je crois que le travail ne suffit pas à les combler ; il faut pour cela des enfants, mon chéri. C'est la nature, et on ne peut rien faire contre."

(Mrs. Ogden, au début du roman, se rebellant un peu contre son mari) :

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L'auteur parle à demi-mots des garçonnes, de celles qui vivent autrement. Si l'on commence par rire au début du roman, avec la description sans concessions du couple que forment les parents de Joan, on déchante très vite car, en tant que lecteur, on voit les ruses de cette mère toxique pour enfermer sa fille chérie. On peut lire aussi l'exemple de ceux qui savent échapper à l'enfermement, qui ont le courage de prendre leur envol et de suivre leur voie, ceux aussi qui finissent par moisir et mourir à Seabourne.


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Radclyffe Hall nous transporte dans cette ville non loin de Londres, où tout est étriqué, où la vie se rétrécit... Le dernier chapitre est parfaitement... horrible. Ce roman montre par l'exemple qu'il faut saisir les occasions et ne pas se trouver de fausses excuses, laisser filer sa vie, en être spectateur. Sinon, on fera partie des "destinées manquées", pour reprendre l'expression utilisée par Elizabeth dans ce passage :

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L'édition est enrichie de deux préfaces d'Anne Pauly et de Pauline Gonthier. Elle contient aussi les deux photos de Radclyffe Hall illustrant cet article.


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Céline Maltère
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