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"Trop d'amour" - Dieu était en vacances, Julia Wallach (2021) Empty "Trop d'amour" - Dieu était en vacances, Julia Wallach (2021)

Sam 20 Nov - 9:25
"Trop d'amour" - Dieu était en vacances, Julia Wallach (2021) 97822410

Julia Wallach a 96 ans. Elle a passé deux ans en déportation, internée à Auschwitz, puis subissant pendant quatre mois la marche de la Mort et l'errance avant de retourner dans son pays d'origine, la France.
Dieu était en vacances, paru chez Grasset, est son témoignage. Elle raconte la vie d'avant-guerre, la menace qui commence à peser sur les Juifs dans les années 30. Vivant à Paris avec ses parents, elle est en danger. Le bougnat de la rue, en face, est un antisémite, et des délateurs, il y en a un peu partout autour, comme cette odieuse voisine qui la verra revenir des camps et avoir du mal à récupérer son appartement, occupé par un autre.
Il est question de son combat, de sa survie, de dire, autant que possible, l'horreur d'Auschwitz : les kapos inhumains qui vous tabassent jusqu'à ce que vous perdiez connaissance et qu'à la fin, vos dents tombent dans la maigre soupe ; le SS qui attrape un nouveau-né par les pieds, le jette en l'air et le tire comme un pigeon, sa mère qui meurt quelques jours plus tard de chagrin ; la dysenterie, le typhus auquel elle a survécu, continuant tout de même le travail ; les représailles, les pendaisons, la fatigue ; les amitiés, la solidarité, l’endurcissement ; la chance aussi, le hasard, les quelques minutes de repos que vous accorde quelqu'un qui, sans le savoir, vous sauve la vie :
"On avait notre robe, qui se détrempait et qui ne nous protégeait pas. Certaines portaient un manteau mince, d’autres avaient pris une couverture qui devenait plus lourde à mesure qu’elle s’imbibait. On ne voyait rien, le vent nous soufflait des flocons durs comme des milliers d’aiguilles dans le visage et dans les yeux, on titubait, on se cognait les unes contre les autres. Nous avons marché un jour entier. Combien de kilomètres a-t-on parcourus ? Je ne sais pas exactement où a eu lieu la première étape, sur la plaine polonaise où le vent souffle sans rencontrer jamais aucun obstacle.
La colonne s’est arrêtée près d’une ferme dont on distinguait le bâtiment. Partout autour de nous, la nuit et la tempête. J’ai pensé que c’était la fin. Instinctivement, nous nous sommes mises à genoux, nous enlaçant les unes les autres pour ne pas tomber allongées dans la neige, afin d’avoir le moins de surface en contact avec l’épaisse poudreuse qui couvrait le monde. Doba et moi embrassées dans le chœur des femmes. On se tournait et on se déplaçait petit à petit pour se protéger successivement de tous les côtés. Chaque fois que je me suis réveillée, je me suis demandé comment j’avais pu survivre. Chaque fois que je me suis endormie, j’ai cru que c’était la dernière fois."
"Je ne vois pas de beauté dans la neige", dit-elle. Avoir marché des mois entiers dans le froid, par moins vingt degrés, les pieds nus, avec une robe trempée ne peut que faire haïr le froid dont "l'expérience intime est quelque chose qui ne peut pas se partager."
Au retour, libéré, l'accueil n'est pas celui qu'on croit : personne ne veut entendre, même pas la famille. Quand on est un survivant, on est une preuve de l'inhumanité des hommes, et nul n'a envie de se regarder dans ce miroir :
"Je suis rentrée pour parler et pour me battre, pour reprendre ce qui était à moi. Je suis rentrée comme un reproche. Je suis rentrée le cœur brisé."
Julia Wallach porte son témoignage dans les écoles. 50 ans après (elle avait environ dix-huit ans au moment de sa déportation), elle était retournée à Auschwitz :
"Puis, quand mes enfants Myriam et Patrick ont été adultes, je suis retournée à Auschwitz avec mon mari et d’autres survivants. On a emporté assez de provisions pour tenir une semaine – s’ils croyaient que j’allais dépenser un centime chez eux. Après les cérémonies, mon amie Fanny Wegiweski et moi, on est allées au bout des rails, devant les wagons qui menaient au four, on a grimpé sur une pierre et on a dit : « On les a eus. » Tout le monde pleurait.
         
J’ai retrouvé ma feuille d’entrée, avec mon nom et celui de mon père et de tous ceux du convoi 55, affichée à Birkenau dans le pavillon français. Je me suis souvenue que mon père m’avait dit : « Je ne survivrai pas à ta mère. Mais toi, tu es jeune. Vis, rentre à la maison, et raconte ce qu’on nous a fait. » Alors j’ai commencé à parler. Et je n’ai jamais cessé.
J’ai parlé à ma famille, à mes amis, à des associations, dans des écoles religieuses ou laïques, et même dans les squares, aux nounous des amis de mes petits-enfants. J’ai tout raconté, autant de fois qu’on me l’a demandé. Dans les classes, souvent, des enfants au regard sérieux ont voulu savoir si je croyais encore en Dieu. « Oh non, ai-je chaque fois répondu, je ne crois pas en Dieu. Ou alors, il était en vacances. »"
"Trop d'amour" - Dieu était en vacances, Julia Wallach (2021) 37955210


Le film Trop d'amour, réalisé et écrit par Frankie Wallach, une des petites-filles de Julia, met en scène cette grand-mère survivante. Mais Frankie ne veut plus qu'elle ne soit associée qu'à sa déportation. Elle lui écrit donc un rôle pour une adaptation de Duras, Savannah Bay. Or elle se rend vite compte que ce qu'elle a envie de filmer et de raconter, c'est vraiment sa grand-mère, dont les deux parents sont morts dans les camps, et aussi l'héritage de cette famille : comment les enfants, les petits-enfants ont dû vivre avec le souvenir de la Shoah. Frankie Wallach montre et interroge son père, sa mère, ses sœurs ; elle les fait parler dans un film qui ressemble à un documentaire, mais qui n'en est pas un. Inspirée de Kechice et de Pialat, Frankie Wallach tente de capter le réel, de faire vrai, même si les dialogues ont été écrits et que les scènes sont répétées.
Le poids de ce passé se manifeste dans des petites choses du quotidien, même à la troisième génération : la sœur, par exemple, qui ne s'assoit qu'en bout de rang au cinéma au cas où, soudain, il faudrait fuir... Le père qui porte une rancune... la tante disparue comme un secret de famille.


On garde, après lecture et visionnage, l'image forte et tendre de cette grand-mère particulière.


Témoignage de Julia Wallach au Mémorial de la Shoah :




CM
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