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"Ce n'est pas parce que c'est dans la tête que ça n'existe pas..." : Monstrueuse Féérie Empty "Ce n'est pas parce que c'est dans la tête que ça n'existe pas..." : Monstrueuse Féérie

Mar 13 Juil - 12:19
"Ce n'est pas parce que c'est dans la tête que ça n'existe pas..." : Monstrueuse Féérie Captur58



Celui qui raconte l'histoire se dit psychologue, mais n'est-il pas un fou? Ou un fou qui se prend pour un psychologue...?
Sa vie est peuplée de Monuments, de Monstres et d'une Elfe dont il est amoureux et à qui il se raccroche pour fuir ses cauchemars.
Les Monuments, ce sont les fous de cet hôpital : certains ont des cigales qui leur pondent sous la peau, d'autres se prennent pour des hérons ou des chiens.
Les Monstres, ce sont ceux que sa mère crache toutes les trois ou six semaines, cette ultra-génitrice qui éjecte ses œufs et donne naissance à une ribambelle de petites horreurs que d'autres petits Monstres plus grands nichent dans des alvéoles :
"On voyait tout de suite qu’il y avait  quelque  chose  qui  n’allait  pas  avec les bébés. Il y en avait un qui était né sans bras ni jambes. Comme il n’avait pas de nom, je l’appelais Bébétronc. Au bout du troisième jour, déjà, il rampait en se dandinant sur le ventre. Il avait dans la figure un regard inhumain. Je me disais que ça ferait du grabuge quand il grandirait.
  Je ne savais pas que les Monstres allaient grandir plus vite que les bébés humains.
  Il y en avait d’autres : des nains, des siamois, une petite fille qui n’avait pas de bouche, une autre dont le cou était tordu à l’envers et qui devait marcher à reculons pour voir où elle allait. Elle me faisait très peur celle-là.
  (...)
  Parfois un œil ou un autre organe tombait de leur Monstrueuse Féerie"

"Ce n'est pas parce que c'est dans la tête que ça n'existe pas..." : Monstrueuse Féérie Img_2017

Un bébé Dawamesk, collection privée




Et l'Elfe, c'est cette sauveuse que le narrateur étouffe alors qu'on ne peut pas enfermer ou retenir une telle créature. D'elle, il dit :
"Elle est jolie, sa cruauté est si douce."

Son bonheur dépend d'elle. Or, elle a sa vie d'Elfe :


"Quand je disparais, ça ne veut pas dire que je n’existe plus ou que tu n’existes plus. (...) Ça veut dire que je vis d’autres choses, c’est tout. C’est pour nourrir mes racines."

Elle s'adresse à un trou béant, avide d'affection. Et lui, il raconte des histoires, telle une Shéhérazade, pour que l'Elfe demeure près de lui car, en amour, les mots tentent toujours de ramener à soi : comment retenir celle qu'on aime?
La novella de Laurent Pépin brise les frontières entre le réel et la fiction. On ne cherche pas à comprendre ou à décortiquer ; il faut entrer dans ce monde foisonnant, effrayant, mais raconté avec une légèreté enfantine — une légèreté de fou?
On devine que le mal, le traumatisme se niche dans une enfance difficile. Ce qui importe, pourtant, ce sont les images et le monde qui en ressort. Le narrateur a un "être-monde" dans le ventre, et il laisse s'incarner ses mauvais rêves, il les personnifie. "Le père", la nuit, est colonisé par les cafards ; le jour, il empaille les bêtes. Cet ogre, en secret, désire tuer ses enfants. Et il veut aussi les garder avec lui en les bourrant de nourriture :
"Mange, mange, mange, et ne bouge plus jamais."

Le Petit Poucet est cité, et c'est par une maison délicieuse à la Hansel et Gretel que l'enfant se fait piéger : dans un salon, sa mère accouche encore mais cette fois, elle est mante religieuse et décapite le père.
"Ce n'est pas parce que c'est dans la tête que ça n'existe pas..." : Monstrueuse Féérie Captur59


Des éclats de poésie dans une écriture simple, dont l'atmosphère rappelle La Vrai Vie d'Adeline Dieudonné, ou Le Bonheur des Tristes de Luc Dietrich. Ici, les larmes deviennent de la pluie :
"Puis il s’est mis à pleuvoir dans mon séjour mais je crois que c’était juste pour que je ne voie pas qu’elle pleurait."

Où est le vrai? Raconte-t-il des mensonges? La réponse est donnée, en même temps qu'une définition de l'écriture dans ce beau passage qui dit tout :
 "Je ne t’ai pas menti, jamais. Même si je sais que mes histoires sont un peu… Mais ce ne sont pas des mensonges. Ce sont des métaphores. C’est mon histoire, c’est moi qui raconte. J’ai le droit de faire des métaphores. Je n’ai pas le choix de toute façon. Il y a des choses qu’on ne peut pas raconter autrement. Et puis je ne veux pas. Ce n’est pas la direction que j’ai choisie. Il faut bien reconstruire le monde  à  sa  façon,  on  ne  peut quand même pas le prendre tel qu’il est. C’est trop triste. Prends le ciel, les nuages, les oiseaux, ce que tu voudras, ça n’a aucun sens si on n’y invente pas autre chose avec, un peu d’accent dans le regard qu’on y met. C’est vrai, c’est nul la nature naturelle…"

Réinventer le monde, voilà ce que devrait être toute existence, dépasser la tristesse en l'écrivant et, par-là même, en la métamorphosant : en du beau, du laid, qu'importe?
"Et c’est quand même la vérité, puis que c’est moi qui raconte, en-dessous… (...) Il ne faut pas forcément dire la Vérité mais il faut apprendre à l’aimer. Pour pouvoir la transformer en autre chose."

Nourri de la magie d'Harry Potter (il fait référence plusieurs fois à l'horcruxe, cet objet maléfique dans lequel les sorciers dissimulent une partie de leur âme), le narrateur résume parfaitement les choses ainsi :
"Ce n'est pas parce que c'est dans la tête que ça n'existe pas..."

Je dirais même : bien au contraire!
Céline Maltère


Paru chez Flatland éditeur, en octobre 2020.
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"Ce n'est pas parce que c'est dans la tête que ça n'existe pas..." : Monstrueuse Féérie Empty 2ème lecture

Mar 29 Nov - 20:05
"Ce n'est pas parce que c'est dans la tête que ça n'existe pas..." : Monstrueuse Féérie Monstr13


Je lis rarement deux fois le même livre... mais je me suis plongée dans la nouvelle parution de Monstrueuse féérie de Laurent Pépin, dont le texte a été révisé par les Éditions Fables fertiles et publié dans la collection "L'heure des contes" (première parution en 2020 chez Flatland).
Une mise en page agréable, une lecture qui nous porte par sa poésie enfantine, un monde entre le réel et l'imaginaire, le réel et la folie... le présent et le passé, un narrateur qui nous livre ses pensées comme elles viennent, peuplées de Monuments (les fous de l’hôpital), de Monstres (ses démons intérieurs) et d'une Elfe dont il est amoureux et à qui il se raccroche pour fuir ses cauchemars.
On perçoit le désespoir du "je", sa manière de se débattre contre ses démons, en plaçant tous ses espoirs dans une femme... qui le quitte.
Quelques citations illustrées ici, avant de retrouver une critique dans le numéro 3 de la revue Littératures & Cie , en avril 2023.


"Je la veillais toute la nuit pour essayer de faire éclore des fleurs sur son corps, de toutes mes forces. Parfois j'y parvenais, mais elles dépérissaient aussitôt, mortes-nées."

"Ce n'est pas parce que c'est dans la tête que ça n'existe pas..." : Monstrueuse Féérie 31748910


"Il faudrait que je lui trouve un nom, maintenant que c'est terminé, qu'elle s'est dissoute dans l'atmosphère et que j'en suis à me demander si je n'ai pas tout inventé."

"Ce n'est pas parce que c'est dans la tête que ça n'existe pas..." : Monstrueuse Féérie 31604110


"J'étais pris de panique et cherchais des muses au fond des bouteilles de vin."


"Ce n'est pas parce que c'est dans la tête que ça n'existe pas..." : Monstrueuse Féérie 31667910

Et ce final... poétique :

"Ce n'est pas parce que c'est dans la tête que ça n'existe pas..." : Monstrueuse Féérie 20221111




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